12-12-12, etc.

C’est aujourd’hui la dernière date, pour nous qui vivons aujourd’hui, qui nous permettra d’enchaîner trois fois le même chiffre (le 12/12/2012), pour le jour, le mois et l’année. La prochaine fois que cela se produira, nous serons le 1er janvier 2101 ! Enfin, quand je dis que « nous serons », cela s’adresse surtout à ceux qui sont nés ces dix dernières années… ! Et je ne suis pas sûr qu’ils soient très nombreux parmi mes lecteurs. Quant à nous, si nous dépassons sans encombre la fin du monde annoncée pour le 21-12-2012… encore une date qui comporte les mêmes chiffres… nous approcherons de Noël et de la fin d’une année qui dès à présent aura été celle de tous les changements …pour moi du moins! N’étant pas un adepte de l’apocalypse, j’espère que de nombreuses nouvelles joies surviendront au cours de l’année 2013.

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Si vous désirez observer la très riche symbolique du chiffre 12, vous lirez ce site avec intérêt : http://membre.oricom.ca/sdesr/nb12.htm car ce n’est pas de cela que je voulais vous entretenir aujourd’hui, mais d’un sujet à mes yeux bien plus important, au lendemain de mon premier cours au Conservatoire royal de Liège.

À travers le concerto pour deux chalumeaux de G.P. Telemann, je voulais transmettre ce qui serait le leitmotiv de mon cours, l’image intérieure que le musicien, comme le mélomane, d’ailleurs, doit entretenir comme un réservoir inépuisable de connaissances, de curiosités et de sensations. Faire appel aux nombreuses disciplines qui permettent la compréhension de l’oeuvre, entourer chaque écoute et chaque expérience musicale d’un réseau d’images sonores, visuelles, et émotives, voilà un credo que je ne suis pas rêt de lâcher.

Car les grands pédagogues en musique sont tous d’accord sur un point. Le son produit par le musicien doit être vrai, sincère et vécu. Mais qu’est-ce que cela veut dire en réalité ?

Loin de prôner l’imitation de sa propre vision des choses, le professeur doit veiller à ce que l’élève puisse s’épanouir en tant qu’individu qui transmet la musique. Il ne doit donc pas adopter aveuglément les visions de son maître. Ce dernier doit lui faire prendre conscience de ce qu’il a en lui et doit l’orienter dans ses choix pour qu’ils soient en symbiose avec le compositeur interprété et sa vérité individuelle. Vous me direz que c’est là le propre de l’interprétation qu’elle soit musicale ou autre. C’est vrai, mais que représente vraiment ce travail pour le musicien ?

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Et cette exploration de soi-même ne touche pas que les apprentis musiciens, elle est une constante du métier et un vrai fil rouge qu’il ne faut jamais considérer comme acquis définitivement, qu’il ne  faut jamais perdre. Cela passe avant tout par une fine analyse de la musique qu’il faut jouer. Attention cependant à ne pas considérer l’analyse musicale comme une discipline sèche et purement théorique ni à la prendre comme une fin en soi. Il s’agit d’un moyen, d’un outil permettant d’aller plus loin dans le ressenti profond d’une œuvre.

D’ailleurs, l’analyse peut prendre de nombreuses formes et l’outil doit être, lui aussi, façonné par celui qui l’utilise. Il ne s’agit pas d’une recette qui a fait ses preuves, il faut la vivre et l’adapter à l’époque, le style et la forme de l’œuvre à travailler. Elle sert surtout à l’assimilation du discours des compositeurs et doit s’accompagner impérativement de considérations historiques, de réflexions esthétiques, organologiques, formelles, scientifiques, philosophiques et spirituelles souvent et, bien sûr, d’une introspection individuelle. Toutes les œuvres ne conviennent pas à tous les musiciens n’importe quand (on connaît, par exemple la difficulté pour un jeune musicien de se confronter aux dernières sonates de Beethoven ou aux pièces tardives de  Brahms). Là, le rôle du professeur est immense. Il doit pouvoir orienter la progression de son élève en fonction de ce qu’il a besoin hic et nunc. Et cela demande du maître un talent particulier, une sensibilité et une psychologie de tous les instants.

Le but de tout cela est de faire coïncider deux données essentielles de l’interprétation musicale. D’une part la technique instrumentale, qui permet de résoudre les problèmes fondamentaux du discours musical, de la partition telle qu’elle est écrite par le compositeur, permet de réussir à jouer toutes les notes dans leur durée, leur dynamique, leur rythme, leurs articulations, etc. D’autre part, cette technique n’est d’aucun secours pour l’interprétation si elle n’a pas pour but ultime la réalisation d’une image sonore intérieure.

Tout musicien doit savoir que le travail préalable doit tendre vers une sensation de l’œuvre qui contient des images sonores fortes. Au regard de la partition, il s’agit, après une assimilation de l’œuvre, de la faire sonner au plus profond de son être, d’en acquérir une image individuellement idéale. Il faut ensuite la réaliser de manière sonore et chercher telle couleur, tel toucher, … qui correspond à l’image ainsi forgée. Il se peut qu’en cours de réalisation de cette image, elle se transforme, s’affine, se modifie, mais il faut toujours veiller à ce qu’elle soit en adéquation avec soi-même.

On constate ce genre de décalage chez les jeunes musiciens qui sont surpris par ce qui sort de l’instrument et les perturbe au point, souvent, de perdre « les pédales » en cours de route. Ils ont beau être techniquement au point et avoir réalisé une analyse de l’œuvre, la différence entre l’image intérieure qu’ils ont de la musique et la réalisation réelle de celle-ci est flagrante. Ce genre de décalage s’entend aussi en concert ou dans les concours. Il arrive, pour des raisons diverses, que de grands interprètes se laissent eux aussi prendre en défaut d’image sonore. Je me souviens d’un enregistrement de concert du grand pianiste russe Valeri Afanassiev consacré à la dernière sonate de Schubert. Laissant trop peu de temps entre la fin des applaudissements du public et le début du premier mouvement, il démarra beaucoup trop vite les accords initiaux et les fit sonner de manière inégale et incompréhensible. Puis, s’en rendant évidemment compte, il ralentit le tempo et rectifia l’émission de ce « choral » initial, lui rendant toute sa vérité et son émotion. Il y avait eu un décalage entre son audition intérieure et la réalisation sonore. Lui, il avait assez de sang-froid et d’expérience de la scène pour corriger cela en temps réel, mais les moins expérimentés se seraient sans doute arrêtés ou auraient, tant bien que mal continué à dénaturer la pièce si délicate.

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Les circonstances de l’exécution d’une œuvre, le trac soudain, la surprise face à l’acoustique d’une salle ou la qualité d’un piano et un bruit extérieur gênant (un portable qui sonne, par exemple !) peuvent provoquer ce décalage funeste. Les musiciens doivent s’y préparer et adopter, avant l’entrée en scène, une attitude détendue seule capable de générer la concordance du ressenti et du réalisé. Certains prennent beaucoup de temps avant de commencer. Ils sentent en eux le tempo, la couleur, la direction des phrases et, quand ils commencent, sont déjà dedans. On a souvent l’impression que tout peut arriver sans qu’ils dévient de leur trajectoire. L’oreille contrôlant à tous les instants la réalisation.

Mais pour les mélomanes, et ces cours du Conservatoire sont d’ailleurs ouverts au public extérieur, l’image sonore n’est pas qu’une anecdote d’interprètes. Elle a, elle aussi, une importance cruciale dans l’écoute que nous adoptons. Si nous ne devons pas réaliser le son physiquement parlant, nous devrions avoir assimilé les diverses sonorités des instruments et de leurs combinaisons. Développer l’image intérieure des sons permet une écoute plus qualitative. Il ne s’agit aucunement d’une érudition musicale artificielle. Il me semble au contraire que se forger une image des timbres, des vitesses, des phrases, permet de mieux ressentir la musique qui se déroule sous nos oreilles. Nous devrions tous avoir une image intérieure de l’œuvre que nous allons entendre (ce n’est pas toujours possible, et cela permet d’ailleurs des découvertes qu’on approfondira après ou non). Il ne s’agit pas de perdre la spontanéité de l’écoute, mais d’en approfondir la portée. On gagnerait alors en sensation, en émotion et en compréhension parfois difficile du discours de la musique. C’est encore un des aspects de l’écoute active que je tente de développer absolument lors de tous mes cours et conférences.

Un avis sur “12-12-12, etc.

  1. Excellent texte, un de plus, à lire et relire.
    J’aurais par contre – exceptionnellement – une petite réserve à propos du tire, qui a le défaut de ne pas se rapporter au billet et a failli m’égarer. Heureusement que, connaissant « l’apôtre » ;-), je me suis dit : « Non, pas lui… Il doit y avoir autre chose. » Et en effet !
    Vivement le moment où je pourrai suivre ces cours !

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