La mort de Socrate

« À quoi te sert, Socrate, d’apprendre à jouer de la lyre puisque tu vas mourir ?
–    À savoir jouer de la lyre avant de mourir »

Platon, cité par P. Lemarquis, Sérénade pour un cerveau musicien, éd. O. Jacob, Paris, 2013.

La Mort de Socrate par le peintre David (1787).jpg

La Mort de Socrate par le Jacques-Louis David (1787)

 

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E. Satie, Socrate, drame symphonique en trois parties sur des dialogues de Platon (1917-1918)
III partie: Mort de Socrate (Mady Mesplé – Phédon), Orchestre de Paris, dir. Pierre Dervaux.

La  « Mort de Socrate, est composée d’extraits de « Phédon » vous pourrez lire ici une bonne documentation sur l’oeuvre.

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[…] depuis la condamnation de Socrate nous ne manquions pas un seul jour d’aller le voir. Comme la place publique, où le jugement avait été rendu, était tout près de la prison, nous nous y rassemblions le matin, et là nous attendions, en nous entretenant ensemble, que la prison fût ouverte, et elle ne l’était jamais de bonne heure. [Aussitôt qu’elle s’ouvrait, nous nous rendions auprès de Socrate, et nous passions ordinairement tout le jour avec lui. Mais ce jour-là nous nous réunîmes degrand matin que de coutume. Nous avions appris la veille, en sortant le soir de la prison, que le vaisseau était revenu de Délos. Nous nous recommandâmes donc les uns aux autres de venir le lendemain au lieu accoutumé, le plus matin qu’il se pourrait,, et nous n’y manquâmes pas.] Le geôlier, qui nous introduisait ordinairement, vint au-devant de nous, et nous dit d’attendre, et de ne pas entrer avant qu’il nous appelât lui-même ; car les Onze, dit-il, font en ce moment ôter les fers à Socrate, et donnent des ordres pour qu’il meure aujourd’hui]. Quelques moments après, il revint et nous ouvrit. En entrant, nous trouvâmes Socrate qu’on venait de délivrer de ses fers, et Xantippe, tu la connais, auprès de lui, et tenant un de ses enfants entre ses bras. [A peine nous eut-elle aperçus, qu’elle commença à se répandre en lamentations et à dire tout ce que les femmes ont coutume de dire en pareilles circonstances. Socrate, s’écria-t-elle, c’est donc aujourd’hui le dernier jour où tes amis te parleront, et où tu leur parleras! Mais lui, tournant les yeux du côté de Criton : Qu’on la reconduise chez elle, dit-il : aussitôt quelques esclaves de Criton l’emmenèrent poussant des cris et se meurtrissant le visage.] Alors Socrate, se mettant sur son séant, plia la jambe qu’on venait de dégager, la frotta avec sa main, et nous dit [en la frottant] ; L’étrange chose mes amis, que ce que les hommes appellent plaisir, et comme il a de merveilleux rapports avec la douleur que l’on prétend [son] contraire ! […]
N’est-ce pas [surtout] dans la jouissance et la souffrance que le corps subjugue et enchaîne l’âme?
[…]
à grande peine persuaderais-je aux autres hommes que je ne prends point pour un malheur l’état où je me trouve, puisque je ne saurais vous le persuader à vous-mêmes, [et que vous craignez que je ne sois plus difficile à vivre maintenant qu’auparavant]. Vous me croyez donc, à ce qu’il paraît, bien inférieur aux cygnes, pour ce qui regarde le pressentiment et la divination. Les cygnes, quand ils sentent qu’ils vont mourir, chantent encore mieux ce jour-là qu’ils n’ont jamais fait, dans la joie d’aller trouver le dieu qu’ils servent.
[…]
bien que j’aie plusieurs fois admiré Socrate, je ne le fis jamais autant qu’en cette circonstance.
[…]
J’étais assis à sa droite, à côté du lit, sur un petit siège ; et lui, il était assis plus haut que moi. Me passant [donc] la main sur la tète, et prenant mes cheveux, qui tombaient sur mes épaules [(c’était sa coutume de jouer avec mes cheveux en toute occasion )] : Demain, dit-il, ô Phédon ! tu feras couper ces beaux cheveux ; n’est-ce pas?
En disant ces mots, il se leva et passa dans une chambre voisine, pour y prendre le bain ; Criton l’y suivit, et Socrate nous pria de l’attendre.
[…]
En rentrant, il s’assit sur son lit, et n’eut pas le temps de nous dire grand’chose ; car le serviteur des Onze entra presque en même temps, et s’approchant de lui : Socrate, dit-il, j’espère que je n’aurai pas à te faire le même reproche qu’aux autres : dès que je viens les avertir, par l’ordre des magistrats, qu’il faut boire le poison, ils s’emportent contre moi et me maudissent ; mais pour toi, depuis que tu es ici, je t’ai toujours trouvé le plus courageux, le plus doux et le meilleur de ceux qui sont jamais venus dans cette prison ; et en ce moment /je sais bien que/ je suis [bien] assuré que tu n’es pas fâché contre moi, mais contre ceux qui sont la cause de ton malheur, et que tu connais bien. Maintenant, tu sais ce que je viens t’annoncer ; adieu, tâche de supporter avec résignation ce qui est inévitable. Et en même temps il se détourna en fondant en larmes, et se retira. Socrate, le regardant, lui dit : et toi aussi, reçois mes adieux; je ferai ce que tu dis. Et se tournant vers nous: voyez, nous dit-il, quelle honnêteté dans cet homme : tout le temps que j’ai été ici, il m’est venu voir souvent, et s’est entretenu avec moi: c’était le meilleur des hommes ; et maintenant comme il me pleure de bon coeur ! Mais allons, Criton, obéissons-lui de bonne grâce, et qu’on m’apporte le poison, s’il est broyé ; sinon, qu’il le broie lui-même.
[…]
À ces mots, Criton fit signe à l’esclave qui se tenait auprès. L’esclave sortit, et, après être sorti quelque temps, il revint avec celui qui devait donner le poison, qu’il portait tout broyé dans une coupe. Aussitôt que Socrate le vit : fort bien, mon ami, lui dit-il; mais que faut-il que je fasse ? Car c’est à toi à me l’apprendre.
Pas autre chose, lui dit cet homme, que de te promener quand tu auras bu, jusqu’à ce que tu sentes tes jambes appesanties, et alors de te coucher sur ton lit; le poison agira de lui-même.
Et en même temps il lui tendit la coupe.
[…]
/Socrate/ porta la coupe à ses lèvres, et la but avec une tranquillité et une douceur merveilleuse.
Jusque-là nous avions eu presque tous assez de force pour retenir nos larmes ; mais en le voyant boire, et après qu’il eut bu, nous n’en fûmes plus les maîtres. Pour moi, malgré tous mes efforts, mes larmes s’échappèrent avec tant d’abondance, que je me couvris de mon manteau pour pleurer sur moi-même ; car ce n’est pas le malheur de Socrate que je pleurais, mais le mien, en songeant quel ami j’allais perdre.

[…] Cependant Socrate, qui se promenait, dit qu’il sentait ses jambes s’appesantir, et il se coucha sur le dos, comme l’homme l’avait ordonné. En même temps le même homme qui lui avait donné le poison, s’approcha, et après avoir examiné quelque temps ses pieds et ses jambes, il lui serra le pied fortement, et lui demanda s’il le sentait ; il dit que non. Il lui serra ensuite les jambes ; et, portant ses mains plus haut, il nous fit voir que le corps se glaçait et se raidissait ; et, le touchant lui-même, il nous dit que, dès que le froid gagnerait le cœur, alors Socrate nous quitterait. [Déjà tout le bas ventre était glacé.] Alors se découvrant[, car il était couvert] /Socrate dit/ : Criton, [dit-il, et ce furent ses dernières paroles,] nous devons un coq à Esculape ; n’oublie pas d’acquitter cette dette.
[Cela sera fait, répondit Criton ; mais vois si tu as encore quelque chose à nous dire.
Il ne répondit rien, et] un peu de temps après il fît un mouvement convulsif ; alors l’homme le découvrit tout-à-fait : ses regards étaient fixes.
Criton, s’en étant aperçu, lui ferma la bouche et les yeux.
Voilà, Échécrates, qu’elle fut la fin de notre ami, [de l’homme, nous pouvons le dire, le meilleur des hommes de ce temps que nous avons connus,] /du/ plus sage et /du/ plus juste de tous les hommes.

 

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Un avis sur “La mort de Socrate

  1. En ce week-end où nous rendons hommage à nos compagnes, comment ne pas souligner l’abominable machisme dont faisaient preuve Socrate et ses disciples. Avez-vous remarqué le peu de cas qu’ils font de la douleur d’une épouse et d’une mère. Certes Xanthippe était probablement bien moins sage et cultivée qu’eux – elle n’avait pas eu la chance, elle, d’accéder à l’enseignement des sophistes et des rhéteurs – mais la façon dont ils la virent de ce qui devait être la dernière demeure de son époux, au grand soulagement de son époux d’ailleurs laisserait à penser que les plus brillants esprits sur lesquels repose en grande partie toute la sagesse de notre monde occidental n’étaient en fait qu’une bande de goujats pas très différents des barbares dont ils se gaussaient. A méditer.

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