Fuga

Dans mon métier, il m’arrive souvent de devoir aborder des sujets très complexes et techniques à des personnes qui n’ont pas le bagage théorique pour saisir facilement les subtilités de certains aspects du langage musical. Et cet après-midi, justement, je me lançais dans l’explication des techniques contrapuntiques de l’imitation, du canon et de la fugue… tout un programme illustré, en grande partie, par des œuvres du grand Bach.

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L’explication de la fugue est toujours un problème d’envergure et je suis perpétuellement à la recherche d’exemples pédagogiques efficaces. Car, en fin de compte, le genre (et non pas la forme) de la fugue est utilisé par presque tous les compositeurs en tant que pièce autonome ou intégrée à une sonate. Le but de l’un et l’autre est évidemment très différent et une fugue autonome de Bach n’a pas la même fonction que celle que Beethoven, par exemple, intègre aux développements de ses formes sonates. L’impact expressif produit est radicalement différent et est bien souvent, dans le second cas, un moyen rhétorique très efficace pour relancer une action en cours ou en passe de s’affaiblir.

Si l’on résume les procédés de base de la fugue, on pourra suivre un cheminement de pensée que j’aimerais reprendre aujourd’hui.

La définition de la fugue peut se concevoir comme une composition établie sur un thème opérant selon les règles de l’imitation périodique régulière. Le nom de fugue (fuga, fuite) vient du caractère imitatif de ce genre de composition dans lequel il semble que le thème fuit sans cesse de voix en voix, chaque partie le reprenant lorsque la précédente a achevé de le faire entendre.

Mais pour faire une fugue, il ne suffit cependant pas d’imiter un thème dans toutes les parties d’un chœur ou d’un orchestre ; il faut observer certaines règles de modulations et d’écriture, il faut user de tous les artifices du contrepoint (simple et renversable) pour accompagner le thème principal et le présenter sous divers aspects.

La terminologie de la fugue varie par rapport à celui des autres formes musicales. On ne dit pas que la fugue est une forme car elle ne se présente jamais de la même manière d’une œuvre à l’autre. On parle plus de genre en sachant que les fugues des divers auteurs n’ont qu’un point commun dans leur déroulement, l’exposition du thème. Et d’ailleurs, le thème, dans la fugue se nomme le sujet. Son imitation directe est la réponse.

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Manuscrit de la fugue en sol mineur pour violon solo BWV 1001

On peut écrire une fugue pour les voix seules : on parle alors de fugue vocale. On peut la composer pour divers instruments, seuls ou concertants. On la nomme alors fugue instrumentale. On peut encore unir les voix et les instruments et l’on parle de fugue accompagnée.

Le caractère d’une fugue peut varier suivant la nature du sujet choisi ou les moyens d’expression mis en œuvre par le compositeur, mais quel que soit ce caractère, le style de la fugue, dû à l’emploi de l’imitation, varie fort peu.

Tout thème musical, toute phrase mélodique ne peut pas devenir le sujet d’une fugue. Il doit obéir à toute une série de conditions rythmiques (le sujet ne doit pas contenir trop de rythmes différents), de mélodie (elle ne doit pas comprendre une étendue trop importante (surtout pour les fugues vocales dont le sujet ne doit jamais sortir de la tessiture de la voix qui l’énonce), de longueur (parfois seules quelques notes peuvent donner naissance à une fugue exceptionnelle et les longs sujets peuvent difficilement se développer plus tard) et de tonalité (le sujet doit appartenir, jusqu’au XXème siècle, à une tonalité majeure ou mineure, mais pas les deux à la fois. En bref, le sujet d’une fugue doit marquer l’auditeur par un aspect nettement tranché.

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Une fois énoncé par une voix ou un instrument, un autre lui répond en imitation, c’est la réponse. Dans une autre tonalité définie par les règles harmoniques (que je n’aborderai pas ici), elle subit quelques modifications que l’on nomme les mutations pour qu’elle puisse se superposer au contre-sujet qui est la suite de la mélodie énoncée par la première voix entrée. Il doit, logiquement être d’un caractère différent du sujet (et forcément de la réponse). Une fois la réponse et le contre-sujet énoncés, une troisième voix entre à son tour et joue le sujet qui amène la réponse suivante dans la quatrième entrée. Nous sommes alors à quatre voix, mais il faut savoir que la fugue peut également s’écrire à deux, à trois, à quatre, à cinq ou (plus rarement) à six voix (vocales, instrumentales ou mixtes).


Voici un exemple didactique très bien réalisé, même s’il est parfois incomplet. Seule l’interprétation, qui semble être générée par un ordinateur, ne rend pas justice à la fugue de Bach. Mais pour la visualisation de ses parties, c’est très utile.

Une fois toutes les voix entrées, les événements musicaux se déroulent selon la fantaisie du compositeur … enfin presque ! Ils mettent en œuvre des divertissements (passages plus légers et parfois virtuoses) qui viennent soulager l’auditeur de la complexité du contrepoint de l’exposition et des développements qui retravaillent le sujet et le proposent dans des versions transformées rythmiquement (augmentations, en notes de valeurs plus longues, et diminutions, plus courtes), renversées (les intervalles qui montaient descendent et vice versa, …), supportées par des pédales (notes longues sur lesquelles s’entassent le sujet et des tensions harmoniques) et des strettes (de l’italien stretto, resserré qui font entrer le sujet et la réponse si vite qu’ils créent un sentiment de précipitation).

L’analyse proprement dite de la fugue commence à 1’02… bon amusement!

Une fois ces éléments présentés dans un ordre qui dépend du propos du compositeur, la fugue s’achève par une conclusion (Coda) qui, revenue à la tonalité de départ utilise encore le sujet comme rappel du chemin parcouru…