Purgatorio

En voilà un mot à la mode… les limbes… on le rencontre partout… il ne se passe pas un jour sans que le mot à la mode (comme d’ailleurs de nombreux autres) soit utilisé à tort et à travers. Pourtant, si on comprend la signification générale du mot, on ignore bien souvent ses origines.

Et lorsque Harry Potter, dans sa dernière aventure, descend dans les limbes, il y a déjà été précédé par le « Pirate des Caraïbes », les héros du film de science-fiction « Inception », sans oublier que les « Fleurs du Mal » de Charles Baudelaire devait d’abord se nommer « Les Limbes » et que le fameux André Malraux avait écrit « Le miroir des limbes ». La « Divine Comédie » de Dante en parle abondamment et Franz Liszt en donnera une vision saisissante dans « Purgatorio » de sa Dante-Symphonie. Mieux encore, une expression devenue courante signale que « ce projet est resté dans les limbes », synonyme d’un certain état indécis, non-abouti, inachevé.

 

Franz Liszt (1811-1886)
Eine Symphonie zu Dantes « Divina Commedia » (S.109)
II – Purgatorio  

Dans la chrétienté, la répartition des âmes selon trois catégories conduit à concevoir le Purgatoire en tant que lieu fermé, apte à recevoir des âmes, au même titre que l’Enfer et le Paradis. À la fin du XIème siècle, le mot limbe apparaît dans ce contexte. Du latin « limbus » signifiant « bande », « bordure », il est véritablement utilisé par Thomas d’Aquin au XIIème siècle dans le sens de « limite ». On est donc à la limite de l’enfer et la notion désigne d’abord l’endroit où se trouvent, entre autres, ceux qui sont morts sans avoir reçu le baptême.

Déjà Saint Augustin (354-430) s’était interrogé sur le statut, dans l’au-delà, de ceux qui n’avaient pas pu connaître le sacrement du baptême. Seuls les païens, en effet, et les non baptisés subissent les tourments de l’enfer. Méditer sur les limbes impliquait évidemment une réflexion sur le temps et le lieu de l’au-delà et, puisqu’il s’agissait d’une peine, sur les péchés qui méritaient d’être envoyé dans les limbes. Ainsi, on distinguait les « menus péchés » des « crimes », les péchés véniels et les péchés mortels. Selon Thomas d’Aquin (question 77 de la Somme théologique), un péché peut être dit véniel à plusieurs titres :

  • « Lorsqu’il a en lui une cause qui diminue le péché ; ainsi, le péché d’ignorance et le péché de faiblesse sont dits véniels.
  • À raison de ce qui le suit : par la pénitence toute faute peut devenir vénielle, c’est-à-dire obtenir le pardon.
  • À cause de son genre : les paroles oiseuses par exemple. C’est seulement dans ce dernier sens que véniel s’oppose à mortel, alors que l’objection est fondée sur le premier sens. »

Le Catéchisme de l’Église catholique le décrit ainsi en 1862: « On commet un péché véniel quand on n’observe pas dans une matière légère la mesure prescrite par la loi morale, ou bien quand on désobéit à la loi morale en matière grave, mais sans pleine connaissance ou sans entier consentement. »

 

Descente du Christ dans les Limbes par Domenico Beccafumi, Pinacothèque nationale de Sienne..jpg

Descente du Christ dans les Limbes par Domenico Beccafumi, Pinacothèque nationale de Sienne.

 

Les péchés mortels sont donc punis par les Enfers, tandis que les péchés véniels sont punis d’une purgation dans le lieu d’attente qu’est le Purgatoire. Cette vision témoigne de deux choses essentielles. La première est celle d’une nuance dans les notions de bien et de mal, d’une gradation dans la hiérarchie des actes humains. La seconde propose une véritable géographie de l’au-delà que l’imaginaire humain développera considérablement dans la théologie, l’imagerie populaire et les arts.

Autour du noyau de la croyance traditionnelle s’étendent des terrains de désaccord. Qu’adviendra-t-il, par exemple, d’une personne qui a mené une vie exemplaire, mais qui n’a jamais entendu parler du Christ? Lui sera-t-il donné une seconde chance dans l’au-delà? C’est en partie à cause de telles questions que les théologiens médiévaux ont échafaudé la théorie des limbes et du purgatoire.

 

Peter Huys, La Descente dans les limbes.jpg

Peter Huys, La Descente dans les limbes (XVIIème siècle)

 

Les limbes se divisent ensuite en deux parties. Le Limbe des Patriarches est l’endroit où reposent les justes de l’Ancien Testament qui n’ont historiquement pas connu le baptême. Mais ce limbe est vide depuis que le Christ a emmené avec lui tous ces patriarches en remontant de sa descente aux Enfers. Le Limbe des Enfants ensuite. Morts trop tôt sans avoir été baptisés, ils connaîtraient simplement celle du dam, sans souffrance physique même s’ils sont privés de la vision béatifique de Dieu. Car ceux-ci ne sont pas responsables. Ils ne méritent donc pas les souffrances de l’Enfer, ils ne nécessitent pas la purification des pécheurs dans le Purgatoire et ne peuvent pas non plus accéder au Paradis.

 

Mantegna, La Descente dans les limbres.jpeg

Mantegna, La Descente dans les limbres. Ce tableau en tempera et or sur toile de 38,8 cm x 42,3 cm (dont une première version a été réalisée par Mantegna en 1468 pour le marquis Ludovic Gonzague), est probablement commanditée par Ferdinando Carlo, duc de Mantoue, autour de 1470–1475.

 

Car le Paradis, obtenu par la Rédemption n’est pas le résultat seul de la Passion du Christ, le baptême en est également un élément déterminant. Alors, pour contrecarrer une injustice évidente, les autorités religieuses ont fini par accepter des rites presque païens au cours desquels, on considérait que l’enfant mort ressuscitait quelques minutes dans un lieu nommé le Sanctuaire à répit, juste le temps de le baptiser. Il avait alors accès au Paradis. Devant de telles pratiques, de plus en plus répandues lorsque les morts nés et les décès en bas-âge étaient très fréquents, les théologiens décidèrent que la pratique devait être proscrite et que ces enfants trouveraient le baptême le jour du Jugement dernier où ils seront sauvés. En attendant, les limbes seraient leur lieu de séjour…

Il fallut attendre 2007 pour que le Vatican finisse par renoncer officiellement à la notion de limbe en mettant ainsi un terme à plus de mille ans de réflexion sur le sujet… Ironie du sort, c’est depuis que les limbes sont supprimés que le mot est utilisé dans tous les contextes et mis à toutes les sauces… sans doute pour son côté spectaculaire !