La Bibliothèque avec des livres de musique (vers 1725) du grand peintre bolognais Giuseppe Maria Crespi figure au rang des natures mortes les plus réussies. Pas de fruits ou de légumes, pas de crâne, pas même d’instruments de musique ici, mais seulement de vieux livres et traités de musique poussiéreux déposés parfois négligemment sur les étagères… et puis des partitions rapidement consultées reposées et chiffonnées ! Assurément, cette fausse bibliothèque témoigne de la présence d’un musicien qui fait vivre chacun de ces livres. Ils contiennent sans doute tous les secrets de l’art de la composition et les notes de morceaux particulièrement célèbres à l’époque. En préparation au séminaire Mozart que je donnerai à l’Hôtel « Les Roses » à Libin ce week-end, ce tableau me ramène avec force auprès de notre génie de la musique…
Giuseppe Maria Crespi, Bibliothèque avec des livres de musique 1725
Il est fort probable que la toile ait été commandée par le célèbre Padre Giovan Battista Martini (1706-1784). Elle contient sans doute les ouvrages les plus chers du théoricien. Homme très cultivé, il était chanteur, claveciniste, violoniste, théologien, prêtre, mathématicien et philosophe. Doté d’un très bon caractère, il se lia d’amitié avec le pape Clément XIV, Frédéric-Guillaume II de Prusse… mais aussi avec le jeune Mozart à qui il enseigna peut-être l’art du contrepoint et qui l’estimera toute sa vie. Parmi ses disciples : le violoniste italien Giovanni Battista Cirri, Stanislao Mattei. Ses relations lui firent parvenir de nombreux documents, à tel point que sa bibliothèque comptait environ 17 000 ouvrages !
Padre Gianbattista Martini de Angelo Crescimbeni, 1770.
En tant que compositeur, il ne fut pas très productif et son œuvre est largement inconnue aujourd’hui. On lui connait 3 oratorios, des sonates faisant un large usage du contrepoint, quelques opéras, une messe, un Requiem, ainsi que diverses œuvres religieuses, notamment des répons des ténèbres de la semaine sainte.
Mais sa contribution la plus notoire à la musique se trouve dans ses écrits : Son traité de contrepoint dans le style palestrinien en cinq volumes publiés à Bologne entre 1757 et 1781 furent sans doute ceux que connut Mozart. De nombreux témoignages d’époque louent et admirent la science du Padre Martini. Leopold Mozart jugera d’ailleurs que son fils utile de le rencontrer pour lui présenter son fils lors de leur premier voyage en Italie entre 1769 et 1771. On sait qu’ils rencontreront le Padre au moins deux fois lors de deux passages à Bologne. Simple politesse pour un homme respecté ou opportunisme face à une célébrité qui pouvait ouvrir d’importantes portes vers la gloire et la célébrité ? Et puis l’homme était aussi un musicologue avant la lettre. L’ouvrage historiographique Storia della musica (Bologne 1757-1781, 3 tomes), bien qu’inachevé et manquant d’un plan d’ensemble, fut plus tard une source importante pour de nombreux historiens de la musique…
Ce portrait connu sous le nom de «Mozart de Bologne» est une copie exécutée en 1777 à Salzbourg par un peintre inconnu d’une toile originale perdue qui avait elle-même été peinte pour le père Martini à Bologne pour sa galerie de compositeurs. L’oeuvre est aujourd’hui exposée au Musée civique bibliographique et musical de Bologne. Leopold Mozart, le père de W. A. Mozart, écrivit au sujet de ce protrait : «il a peu de valeur comme oeuvre d’art mais en ce qui concerne la ressemblance, je peux vous assurer qu’il est parfait»
Un homme dont l’influence dans l’Histoire de la musique est peut-être plus conséquente qu’on ne le croit parfois et la méditation sur cette bibliothèque, chef-d’œuvre du trompe-l’œil si cher à l’art baroque nous laisse entrevoir et deviner une infime portion de son savoir… !