Serment d’Hippocrate

Hier après-midi, j’étais invité, par l’Ordre des Médecins, Conseil provincial de Luxembourg, à donner une conférence sur W.A. Mozart pendant la séance solennelle de la prestation de serment des médecins récemment promus et d’hommage rendu aux médecins jubilaires. Les manifestations se déroulaient dans le cadre idyllique du Château du Bois d’Arlon, un endroit prestigieux équipé d’un auditoire de 150 places imitant les petits théâtres à l’italienne au milieu d’un parc sublime que le soleil d’automne rendait absolument féerique. 

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Mais je n’évoque pas ce moment pour son attrait touristique, mais pour ce que j’y ai vu et entendu avant et après mon intervention. Les organisateurs de l’après-midi avaient donc voulu, outre le serment d’Hippocrate lu et distribué aux jeunes diplômés, rendre hommage aux médecins jubilaires. Tous étaient présents et l’on diffusait un film où chacun répondait à des questions concernant sa vision du métier de médecin. Il y avait des généralistes et des spécialistes en nombre. Tous ont mis en évidence la dimension humaniste de leur métier, le service au patient, l’écoute et la bienveillance. C’était, en substance, ce qui sortait déjà du mot de la présidente, le docteur Marie-Laurence Herman, le rôle profondément social de la profession. 

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S’ils rappelaient les difficultés croissantes que les autorités, dans des visions économiques discutables, imposent à leur profession par les cadences infernales, l’exigence de productivité, les pénuries et les moyens déficients, ce n’était pas là leur propos premier. Conscients de leur rôle primordial dans le bien-être de la population au sens large, beaucoup, manifestement, ont passé leur vie à œuvrer pour la bonne cause et pour rester à l’écoute de leurs semblables. C’est la dimension humaine qui, s’associant à la science et à la technologie toujours plus pointues, émanait de ces « vieux médecins » passionnés par leur métier et si sensibles à la condition humaine. Leur vœu le plus cher… que les jeunes diplômés soit investis de ce même feu sacré. C’est ce que le malade et ses proches attendent de la médecine. 

Ayant, avec mon entourage, fait parfois la douloureuse expérience d’un médecin enfermé dans une tour d’ivoire remplie de science, mais incapable d’exprimer simplement et avec humanité un avis ou un diagnostic, ce propos était de nature à me rassurer et même à m’émouvoir profondément. Dans ces témoignages francs, simples et parfois teintés d’humour, je reconnaissais un humanisme commun avec mes idées. Ce fut pour moi, tout à fait étranger à la profession, un véritable privilège d’être invité à écouter cette séance. Elle m’a littéralement bouleversée. 

Et, comme me l’a dit l’un de ces médecins plus tard, tout se trouve dans le Serment d’Hippocrate (vous en saurez plus en cliquant ICI), certes revu et adapté au cours du temps, mais gardant sa substance issue de l’humanisme antique. Il doit, me confiait-il, être la proclamation d’une vocation née bien avant le début des études de médecine. Car la médecine n’est pas un métier, c’est bien une vocation, une manière d’être, une façon de vivre avec les questions existentielles des hommes et essentielles du monde. Le voici, dans sa version réactualisée par le Conseil national de l’Ordre des médecins en juillet 2011 : 

« Au moment où je deviens membre de la profession médicale, je m’engage à œuvrer de mon mieux pour une médecine de qualité, au service des personnes et de la société.

J’exercerai la médecine avec conscience et application.

Au service de mes patients, je favoriserai leur santé et soulagerai leurs souffrances.
J’informerai correctement les personnes qui font appel à mes soins.

Je garderai les secrets appris du fait de la pratique de ma profession et les confidences faites par mes patients, même après leur mort.

Je tiendrai mes professeurs et tous ceux qui m’ont formé en haute estime pour ce qu’ils m’ont appris.

J’actualiserai mes connaissances, ne dépasserai pas les limites de mes compétences et je contribuerai autant que possible au progrès de la médecine.

J’utiliserai de manière responsable les moyens que la société met à disposition et j’oeuvrerai pour des soins de santé accessibles à tous.

J’entretiendrai des rapports collégiaux avec mes confrères. Je serai respectueux envers mes collaborateurs.

Je veillerai à ce que des convictions politiques ou philosophiques, des considérations de classe sociale, de race, d’ethnie, de nation, de langue, de genre, de préférence sexuelle, d’âge, de maladie ou de handicap n’influencent pas mon attitude envers mes patients.
Je respecterai la vie et la dignité humaine.

Même sous la pression, je n’admettrai pas de faire usage de mes connaissances médicales pour des pratiques contraires à la dignité humaine.

Je fais ces promesses solennellement, librement et sur l’honneur. »

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Manuscrit byzantin du 12ème siècle du Serment d’Hippocrate

 

Lorsque ce fut à mon tour de parler, je ne pus m’empêcher de remercier ces hommes et ces femmes pour l’émotion qu’ils m’avaient procurée ainsi que leur dire toute ma reconnaissance pour la manière dont ils exercent leur profession, argumentant que c’est, en effet, ce qu’attend un patient. Outre le diagnostic, une écoute, une bienveillance et un conseil, tout se trouve dans ce texte qui, malgré un aspect un peu convenu, doit impliquer celui qui en a la vocation. 

Il me restait à parler de Mozart. Le titre de la conférence, Voyage au cœur de l’Homme, parcours certes rapide dans l’apprentissage de l’humanité par l’un des plus grands génies de la musique. J’ai senti que mes paroles résonnaient chez les auditeurs et qu’à leur tour, ils ressentaient une émotion formidable qui les confortait dans leur credo car les mots que j’employais étaient de même nature que les leurs et évoquaient, eux aussi, la formidable et fondamentale humanité des hommes. J’insistais, et l’actualité semble le confirmer, sur le fait que le manque de culture actuel engendre des idéologies terrifiantes, discriminantes, violentes, d’un autre âge…, bref tout l’inverse du fameux Serment ! 

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Nicolaes Moeyaert, Hippocrate, 1636

À l’issue de mon exposé plusieurs de ces médecins jubilaires m’ont confié qu’il pensaient que l’art et la culture devraient faire partie de l’enseignement de la médecine, de l’enseignement tout court, car pour bien s’occuper d’un patient, il faut comprendre la nature humaine et que l’art est un vecteur fondamental de l’humanité qui y aide assurément. Tous regrettent amèrement que beaucoup de jeunes médecins ne s’intéressent absolument pas à l’art et que cela peut engendrer des conséquences désastreuses. Leur espoir est qu’il y viennent dans le courant de leur carrière. Mais auront-ils alors le temps d’y consacrer un peu de leurs occupations ? Pour ma part, je connais quelques jeunes médecins qui pratiquent la musique et qui sont de vrais mélomanes. Ils sont, en effet, très sensibles à l’humanisme évoqué ci-dessus. 

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Ces propos m’ont évidemment confirmé ma propre vocation à analyser l’Histoire, les œuvres d’art et la musique pour comprendre l’humanité qui transite en elles dans le but et la faire résonner en nous. Mais ne vous y trompez pas, ce n’est pas parce qu’on connaît un peu l’art qu’on est un bon médecin. L’art et la culture nous enseignent seulement, et c’est déjà pas si mal, à devenir plus humains… ce qui est aussi l’une des qualités majeures du médecin !

2 commentaires sur “Serment d’Hippocrate

  1. Quelles heures riches vous avez passées avec ces médecins! Vous avez tous été nourris jusqu’à ce jour par l’humanisme classique. La formation des jeunes médecins n’est plus la même : elle était plurielle parce que la plupart de vos professeurs étaient eux-mêmes des humanistes. L’école en forme peu aujourd’hui. Qu’il s’agisse des professeurs ou des médecins, elle en fait des savants déconnectés ou des techniciens sans âme. Et le monde, humain s’il en est, s’affadit chez eux à force d’indifférence aux détresses humaines comme aux beautés de la vie, aux émotions fortes qu’elle distille. Faut-il devenir vieux pour comprendre que c’est la culture qui rend la vieillesse douce et supportable? Que feront les jeunes sans culture? Vieilliront-ils prématurément, sans empathie?

  2. Beaucoup de jeunes promus « médecin généraliste » sont contraints de reléguer au second plan cette qualité essentielle et prioritaire qu’est l’Humanisme .
    Notre société est responsable et nous devons participer au rééquilibrage de cette Valeur. Ce que vous faites de façon extraordinaire !

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