Romantismes…

 

Le dernier concert de l’U3A accueillait une formation assez inhabituelle puisqu’il s’agissait d’un trio avec piano dont le violon était remplacé par l’alto. Dominique Lardin (alto) et sa partenaire à la ville comme à la scène, Corinna Lardin (violoncelle) s’associaient merveilleusement à l’excellente pianiste Emi Aomatsu. Nous avions reçus à plusieurs reprises les deux musiciennes qui, à chacun de leur passage, nous avaient charmés. La découverte de leur trio s’annonçait passionnante.

Le programme, finalement très romantique puisqu’il proposait le trio op. 11 de Ludwig van Beethoven et le fameux op. 114 de Johannes Brahms, avait de quoi séduire notre public mélomane friand de musique de chambre. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas été déçu.

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Photo A. Mafit

Le Quatrième Trio avec piano de Beethoven fut écrit d’abord pour une formation qui comportait la clarinette, instrument très en vogue à Vienne lors de sa composition en 1797. L’œuvre fut publiée l’année suivante avec une dédicace à la comtesse vin Thun et jouée en privé. Il semble que Beethoven avait également prévu la possibilité de remplacer le violoncelle par le basson. 

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Photo A. Mafit

L’œuvre tient son surnom de Trio « Gassenhauer » du thème et variations qui constitue son final. Le mot signifiant rengaine, en français, désignait le thème si connu à l’époque sur lequel tout le mouvement se construisait. Une mélodie en provenance d’un opéra, aujourd’hui enfoui dans les tiroirs de l’Histoire, Le Corsaire par amour, de Joseph Weigl, représenté avec un succès fracassant à Vienne en 1797. Rempli d’airs à succès, Beethoven jeta son dévolu sur le guilleret « Pria ch’io l’impegno » qu’il traite avec brio en variations successives… La critique fut cependant mitigée en annonçant que Beethoven pourrait donner beaucoup de bonnes choses s’il acceptait d’écrire avec plus de naturel que de recherche ! 

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Photo A. Mafit

Une anecdote encore, rapportée par Ferdinand Ries, raconte que Beethoven et Steiblet (virtuose et compositeur né en 1765 et mort en 1823)  se rencontrèrent chez le comte de Fries. C’était le jour de la première de notre trio op.11. Steibelt fit la fine bouche et remarqua avec condescendance que le piano n’y occupait pas une place aussi brillante qu’il l’aurait souhaité. Il joua alors un quintette de sa composition, très virtuose, pour en remontrer à Beethoven qui en fut blessé. 

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Photo A. Mafit

Quelques jours plus tard, dans le même salon, Steiblet joua à nouveau un quintette avec grand succès. Il avait, en outre, avec une certaine insolence, improvisé brillamment sur le thème des variations du trio de son rival, ce qui choqua profondément les admirateurs du maître. Beethoven se mit alors à l’instrument avec son air habituel, maussade et grognon. Il prit la partie de violoncelle du quintette de Steibelt, la mit à l’envers et tapota avec un seul doigt un ensemble de notes prises dans les premières mesures. Puis, il improvisa sur ce motif, devenu un thème sous ses doigts de telle sorte que Steibelt, mis devant son infériorité flagrante, fut profondément vexé de la force et du talent qui anéantissait ses illusions. Il quitta la salle avant la fin de l’improvisation et ne voulut plus jamais rencontrer ce Beethoven qui lui avait donné une leçon exemplaire. 

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Photo J. Cadet

Ces querelles, si fréquentes à l’époque, n’étaient évidemment pas de mise lors de notre concert et, si l’on sait que la clarinette initiale fut bientôt remplacée par le violon, l’alto de Dominique Lardin reprend magnifiquement la tessiture de la clarinette et offre un bel équilibre, certes très différent, à la pièce et une couleur formidable. L’ensemble parfaitement homogène montre sa formidable cohérence. Un tout grand moment de musique.

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Photo A. Mafit

Autre moment attendu, celui du Trio pour clarinette, violoncelle et piano en la mineur op.114 de Johannes Brahms, lui aussi avec alto en lieu et place de la clarinette. Si l’on ne peut pas nier l’extraordinaire émotion que révèle la clarinette dans ce chef-d’œuvre, on sait que Brahms pensait souvent l’alto comme une alternative. Ses deux Sonates pour clarinettes ou alto et piano op. 120 en témoignent. 

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Photo A. Mafit

Composé pendant l’été 1891 à Bad Ischl à la suite de sa rencontre avec le clarinettiste Richard Mühlfeld, le Trio fut créé en 1891 par Mühlfeld, le violoncelliste Robert Hausmann et le compositeur au piano à Meiningen puis rejoué à Berlin le 12 décembre suivant. Brahms lui-même signifiant que la partie de clarinette pouvait ad libitum être jouée par l’alto. Souvent considéré comme un travail préparatoire du grand Quintette avec clarinette op. 115 de la même année, le trio est généralement moins apprécié que son grand frère. Pourtant tout le Brahms tardif s’y retrouve avec force, passion et ce profond sentiment de mélancolie automnale si typique (Sehnsucht) du compositeur. Là encore, nos musiciens parviennent à l’excellence du propos et parviennent à bouleverser littéralement les auditeurs accrochés à leur son envoûtant. Maîtrise, sens de la direction musicale, maturité du propos, tout y est, puissance dramatique dans l’allegro initial, lyrisme intense, entre « deuil et consolation » dans l’Adagio. 

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Photo J. Cadet

Le génial troisième mouvement, Andantino grazioso, avec ses merveilleuses inspirations mélodiques, sur un rythme de valse lente déployant ses échanges continuels entre les musiciens est le point culminant. La pièce se termine alors par un Allegro débouchant sur une vive coda profondément romantique arrachant les acclamations de la salle entière. 

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En guise de bis, le trio nous offre une découverte, une valse d’un compositeur et pianiste rare, Carl Frühling (1868-1937). La musique rappelle clairement l’esprit brahmsien  et son romantisme doux se canalise dans l’une de ses plus grandes réussites, son Trio avec clarinette en la mineur op. 40, qui achève la soirée mémorable par une douce rêverie viennoise…

 

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