Un jour… Un chef-d’oeuvre! (69)

« Et pour avoir un trépas si beau, plus d’un aurait donné sa vie… »

Théophile Gautier (1811-1872)

58. Manuscrit Chordiforme O Rosa Bella

Chansonnier cordiforme. France, ca. 1475. Paris.

John Bedyngham (actif vers 1450), O Rosa bella, dans le Manuscrit cordiforme, interprété par L’Ensemble Médiéval de Londres, dirigé par Peter et Timothy Davis.

58b. O Rosa bella texte

« Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… pas du tout! Quand il s’agit de penser ce que peut signifier aimer, les philosophes ont l’humeur moins badine et ils préfèrent souvent l’amour du Beau, du Vrai et du Bien aux méandres de l’amour humain. Pourtant « rien n’est vrai que d’aimer et que d’aimer toujours! Tes aimés passeront, mais ton amour demeure malgré […] les petites morts des petites amours… » affirme la poétesse et philosophe Marie Noël, en chantant l’inquiétude de l’amour et la détresse du désamour. Empruntant au thème biblique du Cantique des Cantiques où la bien-aimée attend son bien-aimé le cœur battant, elle ajoute: « Ce n’est pas un jeu pour rire que d’aimer, ce n’est pas un travail vite fait… » Comme si, soudain, Marie Noël pressentait qu’il faut donner et abandonner pour aimer, malgré les espérances et les déceptions des « petites amours ».

Saint Augustin fut un amant passionné, mais en cherchant l’amour qui mène à Dieu, il comprit qu’aimer, ce n’est pas posséder… L’amour doit être bienveillance. L’autre n’est pas un objet, ni de désir, ni de plaisir, ni de manipulations affectives, mais un sujet dont l’humanité, c’est à dire ce qui fait qu’un homme est un homme, ne peut être aliéné. […]

Claudio Monteverdi (1567-1643), L’Orfeo, Acte 1: Rosa del Ciel interprété par Anthony Rolfe Johnson (Orfeo) , Julianne Baird (Eurydice)  et l’ English Baroque Soloists et le Monteverdi Choir dirigé par John Eliot Gardiner.

69. Orfeo Rosa del Ciel

Comme le souligne Emmanuel Levinas, « tu auras qui aimer, tu auras pour qui exister, tu ne peux pas être pour toi tout seul » s’instaure comme une éthique. Il montre ainsi que l’amour va bien au-delà du masculin et du féminin et qu’il se découvre dans la relation à autrui, dans la possibilité de s’éveiller à autrui.

Il s’agit alors dans cette responsabilité que j’ai de l’autre, de bien veiller, en quelque sorte, à ce qu’il ne soit pas abandonné au mépris, à l’indignité et au noir de sa douleur, en grand danger de se perdre. Bien veiller à ce que je n’exige pas de lui d’être celui qu’il n’est pas, au regard d’une norme sociale, idéale ou non. Car l’amour doit laisser à l’aimé sa propre capacité à être libre, à se choisir. »

Martine Laffon, Le Musée philosophique, Paris, Éditions Milan, 2011, pp. 93-94.

Hector Berlioz (1803-1869), Les Nuits d’été, 2. Le Spectre de la Rose, interprété par Anne-Sophie von Otter et l’Orchestre philharmonique de Berlin, dirigé par James Levine.

LE SPECTRE DE LA ROSE
Poème de Théophile Gautier (1811-1872)

Soulève ta paupière close
Qu’effleure un songe virginal;
Je suis le spectre d’une rose
Que tu portais hier au bal.
Tu me pris encore emperlée
Des pleurs d’argent de l’arrosoir,
Et, parmi la fête étoilée,
Tu me promenas tout le soir.

Ô toi qui de ma mort fus cause,
Sans que tu puisses le chasser,
Toute la nuit mon spectre rose
À ton chevet viendra danser.
Mais ne crains rien, je ne réclame
Ni messe ni De Profundis;
Ce léger parfum est mon âme,
Et j’arrive du paradis.

Mon destin fut digne d’envie,
Et pour avoir un trépas si beau,
Plus d’un aurait donné sa vie,
Car j’ai pour tombeau,
Et sur l’albâtre où je repose
Un poète avec un baiser
Écrivit: « Ci-gît une rose
Que tous les rois vont jalouser. »