Un jour… Un chef-d’oeuvre! (71)

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté…

Paul Éluard, Liberté (1942)

71a. René Magritte, L'Empire des Lumières a, 1954.

René Magritte (1898-1967), L’Empire des Lumières (1954)
L’Empire des lumières est une série de tableaux de René Magritte peints entre 1953 et 1954. Les tableaux dépeignent l’image paradoxale d’une route, la nuit, éclairée par un seul lampadaire, sous un ciel de jour.

Francis Poulenc (1899-1963), Concerto pour piano et orchestre, FP 146: I. Allegretto interprété par Eric Le Sage et Orchestre Philharmonique royal de Liège dirigé par Stéphane Denève.

« Pourtant, du fond des âges, monte la nécessité irrépressible de voir, de montrer ce qui vaut la peine d’être vu: d’abord la lumière, puis l’espace et le détail unique; la nécessité aussi de parler un langage universel par delà les frontières et le temps, la nécessité de transmettre son émotion, son assurance, sa confiance dans la vie. Et l’homme préhistorique aussi bien que le primitif catalan, tel peintre égyptien aussi bien que Léonard de Vinci, Holbein, Vemeer, Hokusaï et Outamaro, Van Gogh et Henri Rousseau nous font savoir qu’il y a en nous, depuis toujours, les mêmes possibilités et le même pouvoir.

Voir, c’est comprendre et c’est agir; voir, c’est unir le monde à l’homme et l’homme à l’homme. On nommait autrefois frères voyants, aux Quinze-Vingts¹, les hommes non aveugles mariés à des femmes aveugles. Une fraternité semblable unit le peintre aux individus qui sont sinon atteints de cécité mentale, du moins incapables trop souvent de profiter du sens de la vue, de discerner laideur et beauté, proportions et perspectives, nuances et rapports de couleurs. De l’intimité entre celui qui montre et celui qui regarde, entre le maître et l’élève, entre la connaissance et l’ignorance, entre la révélation et la découverte, au niveau de l’image de la réalité, naît la conception du vrai. Le rôle de l’artiste est de guider, d’ouvrir les yeux les plus rebelles, d’enseigner à voir comme on enseigne à lire et de montrer le chemin de la lettre à l’esprit.

Les critiques d’art, j’entends par là tous ceux qui ont essayé de transposer littérairement leur émotion devant une oeuvre d’art, sont, eux aussi, des frères voyants. Mais leur tâche, qui est rarement considérée comme créatrice, s’avère périlleuse et ingrate, car on a coutume de leur faire porter une responsabilité plus grande que celle des artistes; on les voudrait infaillibles. On oublie que leurs préférences, leurs opinions, leurs capacités sont contingentes plutôt qu’internes, extérieures que substantielles. Les artistes font des yeux neufs, les critiques d’art, des lunettes.

[…]

Comment regarder un tableau pour le comprendre? m’a-t-on innocemment demandé. Comme si je pouvais révéler la formule magique ou mathématique qui ouvre les yeux à la beauté, à la vérité objective ou subjective! […] À la mesure des règles humaines, les règles de l’art sont profondément variables. Les vérités s’entrecroisent, les lumières s’éteignent et se rallument, la confiance et l’inquiétude, l’habileté et la naïveté, la connaissance et l’intuition concourent à un même but: la vérité de la beauté et la beauté de la vérité, pour le plus grand plaisir de la raison. »

Paul Éluard (1895-1952), Anthologie des écrits sur l’art, Éditions Cercles d’art, 1987, pp. 57-59.

71a. René Magritte, L'Empire des Lumières, 1954.

René Magritte (1898-1967), L’Empire des Lumières (1954).

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¹ Le Centre hospitalier national d’Ophtalmologie des Quinze-Vingts, remontant au moyen-âge est situé dans le 12e arrondissement de Paris. L’hôpital a donné son nom au quartier des Quinze-Vingts. L’hospice des Quinze-Vingts a été fondé vers 1260 par saint Louis sans que l’on connaisse le détail et l’époque précise de cette fondation. Plus d’informations ici.