Un jour… Un chef-d’oeuvre! (77)

« Dans la hiérarchie artistique, les oiseaux sont les plus grands musiciens qui existent sur notre planète. »

Olivier Messiaen (1908-1992)

77a. Anonyme, Lahore, 1598 (illustration pour le Cantique des Oiseaux), détail

Anonyme, Lahore, 1598, détail (légende complète ci-dessous).


Olivier Messiaen (1908 – 1992), Quatuor pour la Fin du Temps, III. Abîme des Oiseaux pour clarinette seule, interprété par Luben Yordanoff.

« 3. « Abîme des oiseaux ». Clarinette seule. L’abîme, c’est le Temps avec ses tristesses, ses lassitudes. Les oiseaux, c’est le contraire du Temps; c’est notre désir de lumière, d’étoiles, d’arcs-en-ciel et de jubilantes vocalises..

Olivier Messiaen, Préface de la partition, Paris, Éditions Durand, 1942, p.1.

77c. Jacques Alary, L'Abyme des Oiseaux d'après le Quatuor de Messiean.

Jacques Alary, L’Abyme des Oiseaux d’après le Quatuor de Messiean.

« Conçu et écrit pendant ma captivité, le Quatuor pour la fin du Temps fut donné en 1ère audition au Stalag VIII A, le 15 janvier 1941. Ceci se passait à Görlitz, en Silésie, par un froid atroce. Le Stalag était enseveli sous la neige. Nous étions 30.000 prisonniers (Français pour la plupart ; avec quelques Polonais et Belges). Les quatre instrumentistes jouaient sur des instruments cassés : le violoncelle d’Étienne Pasquier n’avait que 3 cordes, les touches de mon piano droit s’abaissaient et ne se relevaient plus. Nos costumes étaient invraisemblables : on m’avait affublé d’une veste verte complètement déchirée, et je portais des sabots de bois. L’auditoire réunissait toutes les classes de la société : prêtres, médecins, petits bourgeois, militaires de carrière, ouvriers, paysans. Lorsque j’étais prisonnier, l’absence de nourriture me donnait des rêves colorés : je voyais l’arc-en-ciel de l’Ange, et d’étranges tournoiements de couleurs. Mais le choix de « l’Ange qui annonce la fin du Temps » repose sur des raisons beaucoup plus graves ».

77g. Stalag VIII à Görlitz

Le Stalag VIII de Görlitz.

« Musicien, j’ai travaillé le rythme. Le rythme est, par essence, changement et division. Étudier le changement et la division, c’est étudier le Temps. Le Temps – mesuré, relatif, physiologique, psychologique – se divise de mille manières, dont la plus immédiate pour nous est une perpétuelle conversion de l’avenir en passé. Dans l’éternité, ces choses n’existeront plus. Que de problèmes ! Ces problèmes, je les ai posés dans mon Quatuor pour la fin du Temps. Mais, à vrai dire, ils ont orienté toutes mes recherches sonores et rythmiques depuis une quarantaine d’années…

77e. Invitation pour la création du Quatuor pour la fin du Temps réalisée par un détenu du Stalag de Görlitz

Invitation pour la création du Quatuor pour la fin du Temps réalisée par un détenu du Stalag de Görlitz.

Au nom de l’Apocalypse, on a reproché à mon œuvre son calme et son dépouillement. Mes détracteurs oublient que l’Apocalypse ne contient pas que des monstres et des cataclysmes : on y trouve aussi des silences d’adoration et de merveilleuses visions de paix. De plus, je n’ai jamais eu l’intention de faire une Apocalypse : je suis parti d’une figure aimée (celle de « l’Ange qui annonce la fin du Temps »), et j’ai écrit un Quatuor pour les instruments (et instrumentistes) que j’avais sous la main, à savoir : un violon, une clarinette, un violoncelle, un piano.

Quant à l’« Ange qui annonce la fin du Temps », si son mystère appelle la musique, il décourage l’iconographie. On le trouvera cependant dans les belles « tapisseries de l’Apocalypse » de la cathédrale d’Angers.

C’est Albrecht Dürer qui en a donné l’interprétation la plus saisissante : en respectant tous les détails de la vision, il a gravé un personnage sans corps, presque « surréaliste », inoubliable, terrifiant – et totalement « surnaturel ».

Dernière remarque. Mon Quatuor comporte huit mouvements. Pourquoi ? Sept est le nombre parfait, la création de six jours sanctifiée par le sabbat divin ; le sept de ce repos se prolonge dans l’éternité et devient le huit de la lumière indéfectible, de l’inaltérable paix ».

Olivier Messiaen

77d. Anonyme, Lahore, 1598 (illustration pour le Cantique des Oiseaux)

Illustration pour la Razm Nâmeh, adaptation persane du Mahâbhârata hindou commandée par l’empereur moghol Akbar, artiste anonyme, Lahore (Pakistan) ou Agra (Inde), 1598. Une des illustrations reprises dans l’édition moderne du Cantique des Oiseaux de Farîd od-dîn Attâr, Diane de Selliers éditeur, 2016.