Un jour… Un chef-d’œuvre (229)

Adieu, beaux rêves souriants du passé, les roses de mon visage ont déjà pâli.

Violetta acte III de La Traviata

Félix Vallotton (1865-1925), La Malade (1892)

Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata, Acte III, Addio del passato, interprété par Anna Netrebko au Festival de Salzbourg en 2005.

 

[…] Mais force est d’admettre que la lumière qui jaillit vient exclusivement de la « dévoyée » (La Traviata, en italien), et de nul autre. Et, là, c’est vrai, avant qu’elle ne crache le peu de vie qui lui reste, on éprouve le besoin qui n’est pas seulement compassion, de s’arrêter un peu longuement auprès d’elle. Histoire, peut-être, de comprendre ce qui fait d’elle non pas une flamboyante héroïne de l’opéra du 19ème siècle (façon Lucia, Isolde ou Carmen), mais peut-être bien l’héroïne du 19ème siècle dans l’opéra.

Contre-héroïne, avons-nous dit. En d’autres mots, Violetta semble concentrer sur et dans sa pauvre destinée tout ce qu’il peut y avoir – presque tout – de non héroïne dans l’espace où se meuvent ordinairement ses sœurs en opéra. Et d’abord, pour ne s’en tenir qu’au plus immédiatement appréhensible, Violetta n’est ni reine, ni princesse, ni héritière, ni même esclave. Ni mère déchirée, ni fille chérie, ni épouse délaissée. Aucun lien sacré en quelque sorte. Elle n’est même pas une prostituée. Une demi-mondaine. Déjà une demi-femme. Demi-femme objet. De concupiscence. Du désir ou des désirs. De convoitise. Mais aussi d’aversion. De pression. Et, pour finir, objet de délit.

Et c’est d’avoir voulu émerger de cette condition que Violetta va mourir. Sans doute serait-elle morte, puisque la maladie l’envahit déjà. Morte cependant dans des tourbillons de volupté. […] Parlons-en, d’ailleurs de cette mort. Pas de bûcher, pas de philtre. Pas de lame. Pas d’échafaud, pas de poison. Une mort lente par pourrissement intérieur, qui a quelque chose d’une longue, d’une très longue expiation en général épargnée à ses grandes sœurs. Seule Mimi, bien plus tard, partagera cette mort sale et contagieuse. Cette mort du siècle, soit dit en passant qu’à aucun moment on ne saurait choisir. Expiation, mais de quoi? Violetta n’a trompé personne. Violetta n’est pas adultère. Violetta n’a rien dérobé, rien trahi. Violetta, sur la conscience, n’a aucune mort. Violetta est sans crime… sans crime et sans naissance.

Pas davantage, elle n’a de mission à accomplir, de message à délivrer, de destinée à respecter, de grand dessein à réaliser. Qu’a-t-on à lui reprocher vraiment à cette fille, sinon son passé de demi-femme? Très certainement de vouloir lui échapper. […]

Partager le sort de celles qui sont de l’autre côté du rideau, voilà le traitement de choc qu’elle va supporter. Le salut par la contrainte. La conversion par le sacrifice. 3gran Dio! morir si giovine… » Mais au fait, de quoi est donc morte Violetta? De maladie, un peu, d’amour beaucoup, de désespérance terriblement. Mais plus encore de son siècle. Un siècle qui pour lui avoir fait l’honneur de la hisser sur les planches ne s’en est pas moins montré implacable avec elle. […]

Voici la femme. Bien plus femme somme toute qu’héroïne. Si peu maîtresse de son drame. En tous cas énormément moins glaçante de beauté mythique ou de déchéance grandiose que tant d’autres. Simple. Une sœur en humanité, loin, bien loin du théâtre. Du coup, on pleure ni pour ni sur elle. On la pleure, elle. Cette Violetta qui, seule, nous met le feu aux larmes.

Jean Vincent Richard, Le feu aux larmes, article paru dans l’Avant-Scène Opéra n°51, La Traviata, Paris, 1983, remis à jour en 2000, pp. 99-100.

Sirop de violette avec lequel dans le passé, on croyait soigner la tuberculose (traitement absolument inefficace)… sans doute une des raisons pour lesquelles l’héroïne de La Traviata se nomme Violetta…!

 

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