Malgré les conditions sanitaires difficiles et le marasme ambiant, je tenais à ce que les activités des Concerts de l’U3A puissent se dérouler sans encombre et que notre public mélomane et fidèle puisse profiter pleinement du talent des deux musiciennes que j’avais invitées pour ouvrir la saison. Leonor Swyngedouw au violoncelle et Julie Noiret au piano nous proposaient donc un grand récital comprenant des oeuvres majeures du répertoire de la musique de chambre. Suite aux impératifs de la vie bien compliqués des musiciens en ce moment, le programme avait été légèrement modifié, mais l’heure de musique qu’elles nous proposaient allait transporter les auditeurs et les emmener quelque part, entre ciel et terre, dans le monde absolu de la musique… au-delà des notes!
Grand merci à Jean Cadet pour les photographies du concert.
Le programme débutait par la bouleversante pièce d’Ernest Bloch (1880-1959), Prière, première des trois pièces de From Jewish Life (1924). D’emblée, nous mesurions à quel point la voix du violoncelle et ses profondes inflexions se rapprochent de la vocalité humaine. Un chant d’une rare profondeur ponctué par un discret mais très coloré piano.
Autre recueillement, et de taille, la célèbre Élégie en do mineur Op. 24 (1883) de Gabriel Fauré (1845-1924). Cette pièce unique en son genre, conçue à l’origine pour constituer le mouvement lent d’une sonate pour violoncelle et piano jamais complétée, développe un chant d’une extrême profondeur. la voix du violoncelle s’y fait aussi prière généreuse, lyrique, passionnée et, en son centre, révoltée. Le violoncelle de Leonor chante avec la juste palette des tonalités. Tout y est sincère, profond, les larmes ne sont pas loin… un grand moment de musique!
La Sonate (1915) de Claude Debussy (1862-1918) contrastait avec ce moment de grand recueillement. Même si l’on sait que le projet du compositeur français était, à la fin de sa vie, de composer un ensemble de six sonates qui rendraient hommage à la musique française de l’époque baroque, il fut stoppé par la maladie et la mort, nous possédons seulement, mais heureusement, trois oeuvres absolument géniales. La Sonate pour violoncelle fut la première composée et développe un propos très curieux avec ses allusions au rythme pointé du 17ème siècle dans le premier mouvement, associant la modernité à l’ouverture à la française. Puissance pianistique puis solitude du violoncelle… entre épanchements expressifs et grandeur… entre animation vive et méditation… Leonor et Julie touchent à la symbiose musicale indispensable au langage de Debussy. La Sérénade qui fait office de deuxième mouvement est extrêmement délicate avec ses pizzicati qui trouvent écho dans les détachés subtils du piano. L’équilibre est réalisé avec une rare subtilité. Toute la pièce envoûte et son rythme de habanera n’y est pas pour rien. Quand le final débute, nous plongeons dans le monde de la virtuosité de l’espagnolade, cet esprit ibérique que chérissait Claude Debussy! Un moment de musique hors du temps…
Question de temps encore puisque Julie Noiret en prenait un peu pour nous expliquer sa vision interprétative du premier mouvement de la Sonate en fa mineur n°23 de Ludwig van Beethoven, une certaine « appassionata ». Un tempo largement plus lent que celui auquel nous sommes habitués et justifié par des études musicologiques sur l’usage du métronome et la perception du temps au 19ème siècle qui conditionnent une redécouverte de la partition. Il est évident que les sonorités, les phrasés, les dynamiques et les articulations que Julie nous proposent créent un univers dans lequel le discours prend un sens très différent… moins, ou autrement, appassionato que ce à quoi nous somme habitués. Alors nous nous surprenons à, nous aussi, prendre le temps d’écouter autrement les harmonies, les chants, les rythmes et les phrases de Beethoven… c’est très beau et inouï mais il faut aussi du temps pour assimiler, approfondir et admettre une vision si atypique de cette sonate…
Nos deux musiciennes se retrouvaient pour littéralement transcender les Trois Fantasiestücke Op. 73 (1849) de Robert Schumann (1810-1856) qui clôturaient le concert. Et l’on peut affirmer que toutes les émotions romantiques culminent dans ces pièces qui constituent un magnifique condensé du Deuxième Romantisme, celui de la génération 1810. Je n’ai pas de superlatif pour exprimer l’émotion ressentie dans le jeu de nos musiciennes qui maîtrisent parfaitement ce langage musical.
Il serait logique, à ce moment de se réjouir de l’enthousiasme de la salle et de l’acclamation de nos deux musiciennes par les mélomanes de la salle 11 emportés par la prestation de Leonor et Julie. Mais alors que le les bravos et les applaudissements fusaient, le violoncelle de Leonor est tombé malencontreusement et s’est fendu… à la stupéfaction générale! L’instrument du 18ème siècle et de grande valeur devra être expertisé avant de savoir s’il est réparable! Nous tous, sommes sortis, les larmes dans les yeux et dans un terrible silence! Mais pour Leonor, ce violoncelle est bien plus qu’un instrument de musique. Il est son fidèle compagnon et l’accompagne dans toutes ses activités musicales! Croisons les doigts pour que cette catastrophe trouve rapidement une solution favorable!
Merci à toutes les deux de nous avoir enchantés à ce point en ces temps troublés!
Quel moment on a vécu avec elle et combien de fois’ j’y ai repensé depuis. J’espère de tout cœur qu’elle pourra se remettre de cet événement. Dites-lui bien toute notre sympathie. Le concert avait été tellement beau.
comme beaucoup d’autres, je croise les doigts….
Quelle tristesse de terminer de cette façon un aussi beau concert.