La Salle 11 de l’U3A de Liège baignait dans une ambiance très étrange mercredi soir pour le dernier concert de la saison… avant le Festival d’été. On venait d’annoncer une très mauvaise nouvelle. Notre chère U3A allait devoir quitter ses locaux suite aux ambitions aveugles de la Ville de Liège qui, désirant rénover le quartier, a décidé, unilatéralement de raser notre bâtiment pour y construire autre chose… au plus grand mépris des 3000 membres seniors (+ de 50 ans) qui s’y pressent chaque semaine pour y suivre plus de 40 cours, y rencontrer des amis,… Incompréhensible ! Je reviendrai sur cette histoire lorsque nous aurons plus d’informations fiables… !
Mille fois merci à Jean Cadet pour les photographies.
Le concert du soir n’en était que plus symbolique et témoignait de la vitalité culturelle de notre ASBL. Au fil de plus de 15 ans de concerts notre modeste scène a accueilli des centaines de jeunes musiciens. Les émotions ont été diverses et riches. La convivialité de nos séances du mercredi et des festivals d’été est connue de tous. Je ressentais toutes ces émotions à l’idée de devoir quitter, peut-être, ces lieux habités de tant de musiques. Je savais que le concert qui allait débuter serait formidable et prendrait une dimension exceptionnelle. De fait, ce fut inoubliable. Samuel Denis au violon et Nadia Jradia parvinrent à nous transporter au-delà de nos soucis et à nous emmener avec eux dans un voyage musical absolument fantastique.
Le jeune Duo Acuerdo a manifestement plus d’un tour dans son sac. Le programme concocté était puissant, dense et intense. Ce fut tout d’abord l’incroyable première sonate pour violon et piano de Robert Schumann (1810-1856) que nos invités proposaient. Composée en 1851, elle figure au rang des œuvres tardives du compositeur et témoigne du tragique de cette période où l’esprit déchiré par la maladie aborde le fantastique, la passion et la mélancolie de façon bouleversante. Si Schumann affirmait ne pas trop aimer cette œuvre, c’est sans doute par le parcours complexe de sa pensée et le dévoilement de son intimité profonde. Le langage est dense, virtuose. Les parties de piano sont d’une grande difficulté et le violon, dans son registre grave et médian la plupart du temps résonne comme la voix intérieure de son auteur. Samuel Denis montre d’emblée un grand lyrisme et une virtuosité habitée du tragique intense de la musique. Il faut dire que le piano de Nadia Jradia se fond dans ce langage et le Duo recrée l’essence même de la musique de chambre. On oublie les instruments et l’aspect matériel des techniques et mécaniques pour toucher à la pensée pure du maître, entrer dans son âme et dans son drame. J’en suis tout bouleversé ! Je connaissais mal cette sonate, je l’avoue, mais elle m’a pris par surprise grâce à la formidable dramaturgie de nos musiciens.
Après ce gros quart d’heure d’émotions intenses, le Duo Acuerdo enchaînait avec Nigun d’Ernest Bloch (1880-1959), deuxième pièce tirée de Baal Schem, Trois images de la vie hassidique. Le compositeur expliquait son propos en 1923 : « Je n’ai fait qu’écouter une voix intérieure, profonde, secrète, insistante, ardente, un instinct qui me guidait bien plus que la raison, une voix qui semblait venir au-delà de moi-même, au-delà de ma famille… une voix semblant surgir de l’ancien Testament […] Ce n’est ni mon objectif ni mon désir de travailler à une « restauration » de la musique juive, ni de fonder mes oeuvres sur des mélodies authentiques. Je ne suis pas un archéologue. Je tiens avant tout à écrire de la musique qui soit bonne et sincère. C’est l’âme juive qui m’intéresse et je m’efforce de l’entendre en moi et de la retranscrire dans ma musique… »
Ce triptyque date de 1923 et puise son inspiration chez le fondateur du courant religieux hassidique, le rabbin Israël ben Eliezer plus connu sous le nom « Baal Shem Tov » (1698-1760), littéralement « Le Maître du Bon Nom ». Ce courant cherche à se rapprocher de Dieu par la danse, le chant, l’extase… Et cette dimension spirituelle, si différente dans ses articulations de la musique de Schumann, le Duo Acuerdo la maîtrise magnifiquement. On ressent fortement que la musique dépasse l’illustration et se concentre sur le spirituel. Les intonations du violon, les couleurs musicales prêtent à la méditation. Le terme nigun (nigoun) désigne un chant religieux vocal et sans parole, souvent lié à l’improvisation… « des chants qui transcendent les syllabes et les sons », selon Baal Shem Tov. Musique superbe… et interprétation sublime ! Le public ne s’y trompe pas et applaudit à tout rompre !
Restait un très gros morceau : la Sonate pour violon et piano du compositeur verviétois, mort tellement trop jeune, Guillaume Lekeu (1870-1894). L’œuvre, composée en 1892 à l’instigation d’Eugène Ysaye et à qui elle est dédiée, est l’un des fleurons de la musique de chambre pour violon et piano ainsi qu’un des chefs-d’œuvre de son auteur. Petite sœur de la grande sonate de César Franck, elle adopte une écriture cyclique et déploie un fond mélancolique incroyablement puissant qui cohabite avec une passion dévorante et puissante. Au cours des mouvements, on perçoit l’inéluctable tragique comme, dirait-on, une prémonition funèbre. L’auteur de la notice Wikipédia cerne magnifiquement l’enjeu : « C’est le chant d’une âme empoisonnée par de ténébreux philtres d’amour; c’est le drame d’un Tristan et d’une Yseult, d’une désespérance plus entière encore que celle chantée par Wagner. Certains passages prennent le caractère d’une sorte de danse erotico-macabre où la mort et la volupté semblent s’enlacer dans un climat d’une douceur insupportable, d’une sensibilité multiplement exacerbée, incapable de paix et de sérénité. »… Tout un programme que Samuel Denis et Nadia Jradia incarnent avec une passion jamais démentie.
On ne peut s’empêcher d’imaginer que si ce pauvre Guillaume Lekeu avait eu la chance de vivre ne fût-ce que quelques années de plus, il nous aurait laissé des merveilles incroyables et figurerait assurément aux côtés des plus grands. Ce destin, rétrospectivement, semble donner à sa musique une terrible et incroyable urgence… Samuel et Nadia nous y emportent avec un brio teinté d’une grande profondeur… pour la plus grande joie des mélomanes qui s’empressent de féliciter vivement nos deux héros du jour qui par leur art, sont parvenus à nous faire oublier, l’espace d’une magnifique heure de musique, une réalité habitée des nouveaux tracas qui vont sans aucun doute nous hanter dans les prochains mois ! Mille mercis à ce Duo Acuerdo, tout jeune encore, mais promis à un grand avenir !
Il reste bien triste que depuis le premier concert de l’U3A en 2006, personne de la Ville de Liège n’ait jamais fréquenté notre salle, certes modeste, mais pleine de vie, de soutien aux musiciens de chez nous et de convivialité… dommage !
Le Festival Voyages d’été reprend du service après deux éditions avortées pour les raisons de confinement que nous connaissons tous. Voici, en avant première, le tracé de ces 5 jours de musique qui feront la part belle aux jeunes artistes de chez nous.
Mercredi 29 juin à 17H: Vernissage de l’exposition en hommage à notre ami le peintre Jacques Grégoire, disparu l’année dernière. Nous y exposerons 25 de ses oeuvres en une véritable et bouleversante rétrospective avec illustration musicale (flûte).
Mercredi 29 juin à 19H: Le Duo Octocordes (Maritsa Ney et Sofia Contantinidis) à confirmer.
Jeudi 30 juin à 17H: Le Duo Delman (Trombone et harpe Thomas Corman et Chloé Delvenne)
Jeudi 30 juin à 19H: Johan Dupont au piano (Improvisations)
Vendredi 1er juillet à 17H: Bertrand Lavrenov (violon) et Kephren Baiwir (piano)
Vendredi 1er juillet à 19H: Le Duo Phébus (Hélène Petit, violon et Martin Descamps, Marimbas)
Samedi 2 juillet à 17H: Maud Renier (piano) et Jean-Marc Onkelinx (commentaires), L. van Beethoven, La Sonate « Clair de Lune ».
Samedi 2 juillet à 19H: Andrea Van Acker (Saxophone) et Alexandre Bughin (violoncelle)
Dimanche 3 juillet à 17H: Fabian Radoux (Piano)
Dimanche 3 juillet à 19H: Anaïs Brullez (mezzo-soprano), Julien Lentz (trompette) et Émilie Chenoy (piano).