Un jour… Un chef-d’œuvre (142)

Ecce homo

 

Karl Hofer (1878-1955), Le Crieur, 1935 (détail).

 

Anton Webern (1883-1945), Langsamer Satz (Mouvement lent), 1906 pour quatuor à cordes interprété par l’Emerson String Quartet.

« ECCE HOMO

La Première Guerre mondiale fait césure dans l’histoire allemande et bouleverse le rapport à la culture que cette nation encore jeune avait imaginé comme sa voie propre. Quelque chose de barbare a eu lieu; rien n’a pu l’empêcher, ni Apollon, ni Dionysos, ni la beauté sereine, ni la volupté de l’ivresse. C’est démuni que l’être humain s’affronte à ce nouvel état qu’est sa propre barbarie, à une histoire au présent qui enchaîne guerre, révolution, guerre civile et crise économique. Les tentatives faites pour en appeler à l’esprit des héros spirituels de la nation échouent chez les artistes, peu à peu, abandonnent les illusions patriotiques et les discours martiaux. L’idéologie de guerre, qui avait pu entraîner autrefois, sonne creux.

L’humanité de l’homme devient le centre de préoccupation des peintres et des artistes. Ils la révèlent dans les défigurations des visages, les corps amputés, les expressions de la douleur, de la rage ou de l’indifférence. Ils travaillent au plus près de la destruction des formes, sans être séduits par l’informe; ils ne se détournent pas de ce qui les répugne et, tout en éprouvant le dégoût qui les envahit, ils cherchent à trouver de l’humain. Ils construisent des cycles sur la guerre, l’enfer, pour remettre en récit ce qui ce qui ne parvient plus à se dire dans les narrations d’autrefois, dans les jeux cultivés des références aux mythologies antiques. Ils renouent avec des techniques plus anciennes – la gravure – et explorent les médiums les plus récents – la photographie et le cinéma.

Lovis Corinth (1858-1925), Ecce homo, 1925.

Ils traquent la trace de l’humain dans chaque individu, dans les types physiques comme dans les classes sociales, les métiers et les âges de la vie.

Les artistes s’appliquent à faire voir dans chaque ressemblance homogénéisante une singularité différente qui renvoie à cette humanité. Les formules du pathos qu’ont pu être les motifs de la Passion chrétienne reviennent en force, crucifixion, enfer, parce que c’est dans ces réservoirs de formes que se trouve le lexique de l’humain. Face à la montée du nazisme, à l’emploi perverti des références païennes, à l’exaltation de la force physique, que des productions de propagande tentent d’imposer visuellement, les artistes désignent un universel singulier qui résiste aux classifications de tous ordres. »

Sébastien Allard et Danièle Cohn, De l’Allemagne de Friedrich à Beckmann, l’album de l’exposition, Paris, Hazan, Éditions du Louvre, 2013, p. 35.

Otto Dix (1891-1969), La Guerre, Danse des morts en 1917.

 

Anton Webern, Six Bagatelles pour Quatuor à cordes Op.6 (1913), interprétées par le Alban Berg Quartet.

No. 1 – Mäßig: 0:08 No. 2 – Leicht Bewegt: 0:42 No. 3 – Ziemlich Fließend: 1:08 No. 4 – Sehr Langsam: 1:33 No. 5 – Äußerst Langsam: 2:24 No. 6 – Fließend: 3:34