Eve et l’Accordéon…

Pari tenu! Cela faisait très longtemps que j’avais envie de proposer aux mélomanes des Concerts de l’U3A un récital d’accordéon… c’était depuis que j’avais écouté les fameuses Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach interprétées magistralement sur cet instrument, il y a plusieurs années. Plus récemment, alors que je siégeais dans le jury du Concours musical international Ysaye (YIMC) à Liège, en 2019, j’avais été subjugué par le Quatuor Aeolina, un ensemble français qui avait interprété avec un incroyable brio, la Symphonie fantastique d’Hector Berlioz. J’ai découvert, depuis, qu’une vaste littérature classique existe pour l’instrument sous la forme de transcriptions d’une grande qualité. Ce répertoire démontre avec force que l’accordéon est aussi un instrument complet, riche et profondément émouvant.

Photographies de Jean Cadet

Dans cet ordre d’idée, je me suis informé sur les musiciens qui pourraient se produire dans notre modeste salle 11. Et c’est l’organisateur du magnifique festival Il pleut des cordes, à Malmédy, Denis Gabriel, qui m’avait vanté les exceptionnelles qualités de Eve Willems qui, après un master de guitare classique au Conservatoire royal de Liège, passionnée par l’accordéon et le pratiquant déjà de longue date, avait entrepris un nouveau cursus à l’IMEP. La formation classique disposait donc Eve à donner un récital où seraient intégrées des oeuvres classiques. Elle a accepté avec joie… et peut-être un peu de crainte car il n’est pas courant de se voir proposer un récital solo d’une heure. Je lui ai donc donné carte blanche pour qu’elle nous concocte le programme de son choix.

Elle se produisait donc pour la première fois en récital solo sur notre scène mercredi 15 décembre pour notre plus grand bonheur. Nous avions eu la chance de pouvoir, dans notre petite salle d’une bonne centaine de places, de pouvoir maintenir le concert malgré les mesures sanitaires qui s’abattent injustement et de manière répétée sur le monde de la culture. Avec la formidable équipe de bénévoles, nous avions donc tout organisé pour que la musicienne soit dans les conditions les meilleures pour son récital et pour que les 91 personnes qui nous avaient rejointes pour cette heure de musique soient le plus possible en sécurité.

Le programme débutait par la suite de Haendel, originale pour clavecin, qui contient la célèbre sarabande si souvent utilisée dans le cinéma (Suite en ré mineur HWV 437). Ce qui m’a surtout frappé d’emblée, c’est la capacité de l’accordéon à rendre l’esprit, la polyphonie et la clarté de l’écriture. Un début très prometteur et une musicienne d’une grande finesse! Une sonate de Domenico Scarlatti, perle baroque sans pareille, précédait alors le moment de l’éblouissement du public. Un arrangement magnifique de l’Hiver des Quatre Saisons d’Antonio Vivaldi démontrait que l’accordéon est orchestre et soliste à la fois, qu’il est aussi poète, qu’il génère de magnifiques images et, enfin, que cette musique semblait littéralement avoir été écrite pour l’accordéon. Mais comme toujours, l’instrument ne peut sonner avec une telle force que si l’interprète est d’un niveau exceptionnel… et force est de constater que Eve Willems possède ce formidable potentiel. Elle nous transporte littéralement à travers chacune de ses phrases, de ses sonorités, des ses inflexions, en un mot de son interprétation. Si on la sent parfois un peu tendue, rarement imprécise, la cause est assurément le stress d’une première, mais c’est sans conséquence sur la qualité de la musique. Le public ne s’y trompe pas et applaudit à tout rompre cette première partie de récital. Le pari est gagné pour Eve… et pour nous!

Et on sent tout de suite qu’en effet, notre virtuose est beaucoup plus à l’aise dans le répertoire plus moderne. Son expérience du jazz (Iguazú Quintet), et son engagement dans l’orchestre du Cirque du Soleil confirme sa virtuosité dans les Variations sur le thème de la Folia de Michel Massot, professeur d’improvisation et de rock de chambre au Conservatoire de Liège,… une décomposition du thème fameux qui persiste en filigrane dans toute la pièce. Superbe!

Une bougie, une scène dans la pénombre… c’est la Danse rituelle du Feu (L’Amour sorcier) de Manuel de Falla, encore un moment inoubliable où l’accordéon devient sauvage, proche des timbres authentiques du flamenco… Eve Willems y est éblouissante. Et que dire du thème cosaque, virtuose et acrobatique dans une scène à nouveau éclairée. On en redemande et on voudrait que l’instant ne cesse pas (Pour les lecteurs qui voudraient retrouver le programme complet, cliquez ici)

Plus en demi-teinte, le très beau Chat-Pître de Richard Galliano est superbe. Eve confie au public que pour l’accordéoniste, Galliano, c’est le maître suprême. On connait, en effet, sa capacité tant en classique qu’en jazz, à exprimer tous les recoins de l’accordéon, depuis ses confessions les plus intimes jusqu’à ses déploiements de l’âme les plus sublimes. Le concert s’achève avec un fameux clin d’œil à l’accordéon musette, virtuose et dansant à souhait… je découvre avec beaucoup de joie le compositeur hennuyer Gus Viseur et je me promets de l’écouter plus longtemps! Je pense n’être pas le seul à être séduit par l’instrument complet qu’Eve Willems nous a présenté avec tant de passion et de sympathie, introduisant chaque morceaux par quelques mots bien sentis et très pédagogiques.

Mais un concert d’accordéon peut-il s’achever sans quelques notes d’Astor Piazzolla? Assurément non! Eve Willems, acclamée par le public enthousiaste qui vient de découvrir un nouveau monde musical, remonte volontiers sur scène pour nous gratifier du célèbre et tant admiré Libertango qui clôture ce Concert de l’U3A dans la joie et la bonne humeur. Ce n’est pas rien de le dire, car dans l’époque que nous vivons, les moments de joie et de pur bonheur sont en or… et cette grande richesse, c’est Eve Willems qui l’a distillée en nous! Je lui exprime avec la plus grande sincérité toute ma gratitude et la promesse que nous la retrouverons bientôt pour d’autres aventures musicales.