Comme pour le cas de la flûte, le terme « hautbois » désigne une famille d’instruments regroupés par des caractéristiques communes. De nombreux vestiges et une riche iconographie permet de faire remonter les instruments de type hautbois à l’antiquité. Aussi bien les mizmars égyptiens que les aulos grecs en sont les célèbres précurseurs. Ces instruments se sont répandus dans toutes les civilisations et comportent une infinité de variantes originales.
Aulos double de la Grèce antique
Ce qui caractérise surtout le hautbois, c’est que sa musique est produite par ce qu’on nomme une anche double. Elle consiste en deux lamelles de roseau, taillées par le musicien lui-même (c’est un apprentissage très complexe qui oblige le musicien à bien connaître la configuration de sa bouche pour rendre l’anche en parfaite fusion avec celle-ci) et placées face à face, ligaturées sur un tube. C’est sa vibration qui vibre lorsque le souffle de l’instrumentiste la sollicite. Les anches doivent également être adaptées à la vitesse et au volume de l’air, à la pression de la mâchoire, à la température et à l’hygrométrie… tout un programme !
La partie de l’instrument qui comporte l’anche et son tube s’appelle le bocal. Ce dernier est donc placé sur le corps dont la perce est conique et fabriqué en bois, parfois en ivoire ou en métal. L’instrument comporte quatre parties : le bocal, le corps du haut, le corps du bas et le pavillon. Elles s’emboîtent les unes dans les autres grâce à des anneaux en liège qui en assurent l’hermétisme. Le pavillon est évasé et tout le corps reçoit les trous et les clés qui permettent de les (dé)boucher.
L’iconographie abondante permet de se faire une bonne idée de l’histoire de l’instrument. Les enluminures des fameux « Cantigas de Santa Maria » montrent que déjà au XIIème siècle, les anches doubles regroupaient une famille d’instruments assez vaste qui se regroupait en « Consort » (ensembles de la même famille). On nomme chalemie le hautbois ancien qui faisait partie de l’univers musical de la cour des rois de France. On sait que le hautbois du Poitou divertissait Louis XI et que les musettes accompagnaient les danses des paysans.
Les grands progrès dans la facture et l’efficacité de l’instrument datent des environs de 1650 où deux familles de facteurs, les Hotteterre et les Philidor, permettent à l’instrument de prendre place au sein de la « Musique de la Chambre du Roy » et de la « Grande Ecurie » de Louis XIV. Lully sera le premier à le faire entrer dans les grands ensembles en écrivant pour les hautbois des marches solennelles. Ils prennent alors leur essor dans l’Europe entière, se regroupant en bandes avec les bassons ou s’intégrant aux orchestres modernes. Tous les compositeurs de l’époque baroque vont écrire pour le hautbois, en lui procurant un répertoire concertant hors du commun.
Pendant toute la période classique, le hautbois ne se modifie pas considérablement. On lui ajoute l’une ou l’autre clé pour augmenter sa tessiture et sa place dans l’orchestre symphonique est désormais acquise. Il convient particulièrement pour teinter la couleur orchestrale des bois de sa sonorité envoûtante.
Mais au début du XIXème siècle est une époque de renouvellement complet pour les instruments de la famille des bois. Le fameux facteur Théobald Boehm invente pour la flûte traversière un système de clés et de plateaux pour boucher plus facilement et efficacement les différents trous parfois difficilement accessibles aux doigts des musiciens. Un peu plus tard, des facteurs de hautbois se l
ancent dans l’aventure et transposent les principes de Boehm à la famille des anches doubles. Ces aménagements eurent des conséquences plus grandes qu’on ne pouvait se l’imaginer. Il fallait désormais un bois plus résistant pour soutenir cette « machinerie » et c’est l’ébène qui s’imposa jusqu’à nos jours comme un matériau idéal. Aujourd’hui, les recherches permettent de fabriquer d’excellents instruments en matériaux composites et le célèbre facteur Buffet Crampon, à la pointe de la technologie utilise 95% de poudre d’ébène, 5% de fibres de carbone et de résine époxy.
Britten, Métamorphoses pour hautbois solo, Narcisse
Tous ces progrès ont encore renforcé le succès du hautbois auprès des interprètes et des compositeurs. On le trouve désormais comme instrument de base des grands orchestres et il est bien rare qu’une symphonie ou un poème symphonique ne le mette pas en évidence à un moment ou l’autre. Son timbre particulier ne manque pas de toucher l’auditeur à chacune de ses interventions. Dans son traité d’orchestration, Hector Berlioz affirme que le hautbois est avant tout mélodique, qu’il possède un caractère agreste, plein de tendresse et même d’une certaine forme de timidité. Il poursuit en soulignant sa candeur, sa grâce naïve, sa douce joie ou l’évocation de la douleur d’un être faible. Son jeu le plus émouvant est le cantabile.
Le hautbois est considéré comme l’un des instruments les plus difficiles à jouer. Il demande une maîtrise exceptionnelle du souffle et de son dosage. Les pupitres des orchestres modernes comprennent essentiellement deux membres de la famille. Le hautbois en ut, qui est le plus habituel est souvent complété par le cor anglais en fa (souvent joué par le second ou le troisième hautboïste du pupitre. On trouve de temps en temps un hautbois d’amour en la, un peu plus grave que le hautbois et rarement un heckelphone (du nom de son inventeur, un certain Wilhelm Heckel) qui est un hautbois baryton (dans Salomé de Strauss ou les Planètes de Holst, par exemple).
Cor anglais
Le cor anglais en fa est beaucoup plus courant. Sa tessiture se situe à une quinte juste inférieure du hautbois habituel et sa facture est légèrement différente. Il est plus grand, et possède un pavillon en forme de bulbe. Son nom a fait couler beaucoup d’encre chez les musicologues. L’hypothèse la plus probable est qu’il résulte d’une confusion entre le terme « anglé » et le mot « anglais ». En effet, si vous observez son bocal, vous constaterez qu’il est courbé (à l’inverse de celui du hautbois qui est droit). Anciennement, la courbe était un angle. L’instrument était donc anglé, ce qui avec le temps et la déformation est devenu « anglais ». Mais il est aussi fort probable que le sa dénomination de cor est en rapport avec un instrument anglais de type cor de forme semi-circulaire. Mais il y a mieux : il pourrait aussi s’agir d’une confusion de traduction de « Engelisches Horn », devenu « Englisches Horn » par cor anglais alors que la traduction du vieil allemand serait « cor angélique » (engelisches = angélique). Toutes ces anecdotes, pour intéressantes qu’elles soient, ne sont rien par rapport à la sonorité de l’instrument, chaude, très mélancolique, bref l’une des plus émouvantes de tout l’orchestre.
Sibelius, Le Cygne de Tuonela tiré des Quatre légendes de Leminkainen
La famille des hautbois est bien l’une des plus séduisantes tant par sa richesse expressive que par sa capacité à colorer magnifiquement les ensembles instrumentaux.
Bel article !
Juste une petite précision, la partie du hautbois qui accueille l’anche est la piperelle. Le bocal est le tube que le basson et le cor anglais ajoutent entre le corps du haut et l’anche.