La folie et la mort

 

Même si je n’ai pas pu assister à tout le festival Schumann qui s’est terminé hier à Liège autour d’Eric Le Sage, la musique que j’ai entendue lors des concerts m’a profondément bouleversé, comme chaque fois que j’aborde ce compositeur qui met manifestement mal à l’aise un public non averti du cas Schumann. Pour en apprécier toute la force émotionnelle, il nous faut nous familiariser à ce monde tout particulier et profondément pathologique.


 Schumann portrait


Les dernières semaines de sa vie furent extrêmement difficiles pour lui et sa famille, en voici le récit. 

Brahms et Joachim offrirent à Schumann sa dernière joie musicale. Ils organisèrent en 1854 un festival Schumann à Hanovre. Ce sera un triomphe complet qui fera oublié, pour un instant, la lugubre Düsseldorf. Une dernière fois, l’inspiration créatrice renaît. Il compose une allegro de concert et le concerto pour violon dédié à Joachim. Mais ses dernières notes, c’est au piano qu’il les confie. Au seuil d’une folie irréversible, il compose ses « Chants de l’Aube », son bouleversant testament musical. 

En février 1854, Schumann est anéanti par de nouveaux troubles psychiques. Il éprouve du mal à parler et a des hallucinations auditives. Il entend la note « la ». Le 10 février, cette note s’anime et se fait musique : « une musique si magnifique qu’on n’en a jamais entendu de pareille sur terre ».


 

Schumann, Robert et Clara


Mais plongeant de plus en plus dans l’univers de la souffrance, que sa musique exprime depuis très longtemps déjà, il lutte de moins en moins. Seul le travail provoque encore un soulagement, sans doute dans sa fonction de catharsis. Il ne compose plus, mais il corrige son concerto pour violoncelle. 

Clara reste quelque peu en retrait. Elle l’entend divaguer dans la nuit du 17 février. Ce sont les anges d’abord, puis les diables qui tournent autour de lui. Le 21 février, la crise semble s’apaiser. Schumann peut se remettre au piano, écrire des lettres et soudain, il réalise toute l’ampleur de son état. Il est devenu fou, la terreur de toute sa vie. Il décide de se rendre dans un asile d’aliénés. Qui sait de quoi il sera capable la prochaine fois. Il se fait préparer ses affaires, dispose près de lui du papier à musique, de l’argent, des plumes. Mais le 27 février, il se jette dans le Rhin du pont de Düsseldorf. Des bateliers le sauvent et le ramènent chez lui. Dès lors, il est traité en dément. Clara qui attend son huitième enfant est éloignée.


 

Schumann Asile d'Endenich


Le 4 mars 1854, on l’emmène le matin dans un fiacre. Le docteur et l’infirmier montent  avec lui. Brahms et Joachim peuvent le visiter et tenir Clara au courant de l’évolution de sa santé. Au début de son internement, il a encore quelques espoirs de guérison, mais rapidement, il oublie peu à peu tout ce qu’il a laissé derrière lui. Il reste des  heures assis à une petite table à feuilleter un atlas géographique en y cherchant le pays des enfants ! 

Pendant deux ans, son état se détériore et il n’est plus l’ombre que de lui même. Il entend encore quelques notes et harmonies qui le font souffrir. Il ne les écrira jamais. Il décide de ne plus recevoir de visites et cesse de se nourrir. Le 23 juillet 1856, le docteur Richarz qui suit le malade depuis son hospitalisation à l’asile d’Endenich, adresse à Clara le message suivant : « Si vous voulez trouver votre mari encore vivant, venez en toute hâte ». Clara accourt, Robert la reconnaît et lui sourit. Dans un immense effort, il la sert dans ses bras. Il s’éteint le 29 juillet 1856 à 16H. 

Si ces dernières années sont peu fructueuses, on s’en doute, d’un point de vue musical, la tragédie de Schumann, ses dédoublements de personnalité (Eusébius et Florestan) et ses phases maniaco-dépressives se trouvent tout au long de son œuvre. Les derniers moments ne sont que la concrétisation de tous les tourments que sa musique nous montre. C’est sans doute l’un des éléments qui met mal à l’aise les auditeurs et ne bonne part des interprètes. Car, en fin de compte, seul ceux qui sont capables de ressentir le mal être de Schumann pourront s’y impliquer vraiment.

schumann le sage


Qu’on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas
. Il ne faut pas souffrir comme Schumann pour apprécier sa musique. Il suffit d’admettre que les valeurs d’un homme malade sont toutes différentes des nôtres, qu’elles sont contradictoires mais parfaitement sincères. Et puis, n’avons-nous pas tous, au fond de nous-mêmes, une part d’Eusébius et de Florestan ?