Freischütz

 

Dans le cadre d’une conférence à Nivelles que je donnerai ce jeudi soir, je dois présenter cet opéra qui constitue l’étalon du premier romantisme allemand en matière d’opéra. Les régions d’Allemagne sont alors gouvernées par la vogue de l’opéra italien qui triomphe partout. Mozart avait laissé deux opéras en langue allemande, l’Enlèvement au Sérail et la Flûte enchantée, plus apparentée à un Singspiel (sorte d’opérette allemande) qu’à un véritable opéra. Plus que le demi-échec de Beethoven, Fidelio, le Freischütz (le Franc-tireur), opéra en trois actes (1821), de Carl Maria von Weber est le symbole de l’art lyrique germanique et sera l’un des grands inspirateurs de la symbolique de Richard Wagner.  

Voici, en guise d’introduction à ce vaste sujet, quelques propos du librettiste Friedrich Kind sur la genèse de l’œuvre et du poème.


Johann Friedrich Kind (Freischütz)
 


 

« Il fallait trouver une belle histoire, et elle devait avant tout être populaire : Il me semblait que mon propre tempérament d’artiste exigeait cela, autant que celui de Weber. 

Nous commençâmes nos recherches. Certaines histoires nous plaisaient, mais pour finir tantôt Weber, tantôt moi, émettait une objection justifiée – et parfois c’était nous deux. « Et bien, dis-je enfin, en prenant le dernier livre de la pile, voici qui nous conviendrait à tous deux, surtout à vous, qui savez composer de si jolies mélodies populaires, mais… » 

« De quoi s’agit-il ? » – Je lui tendis les Histoires de fantômes : « Le Freischütz d’appel ! » Il le connaissait, il fut immédiatement séduit : « Superbe ! Superbe ! Seulement … » 


 

Carl_Maria_von_Weber 


Nous nous représentâmes mutuellement tout ce qu’on pouvait dire – qu’il ne serait peut-être pas possible d’oser le montrer nulle part, car le théâtre était alors sévèrement censuré ; que la double mort des amants était une fin par trop tragique ; qu’on nous accuserait de propager la superstition ; que le spectacle de l’innocence sacrifiée au mal pouvait passer pour immoral, etc. Nous convînmes enfin que, telle que l’affaire se présentait, il ne fallait pas compter sur les livres. Le déplorant vivement, mais sans nous être décidés, nous nous séparâmes.

Cependant, la balle enchantée m’avait touché moi aussi. Mon cœur battait la chamade, je marchais de long en large dans la chambre, enivré par l’atmosphère joyeuse de la forêt et le ton populaire. Enfin l’aurore me salua, l’astre du jour émergea des brumes. Je courus chez Weber, je ne sais plus si c’était le soir même ou tôt le lendemain matin. 


Ouverture du Freischutz, par l’Orchestre de la Süd Rundfunk, dirigé par C. Kleiber (1970)


 

 

« Je vais vous écrire le Freischütz ! Je ne crains même pas le diable ! Je vais changer toute l’histoire ! Rien de moderne ; nous vivons tout de suite après la guerre de Trente Ans, au cœur des monts boisés de Bohême. Un pieux ermite m’est apparu ! La rose blanche protège du chasseur infernal ! Le faible vacillant s’appuie sur l’inn
ocence ! L’enfer est vaincu, le ciel triomphe ! » Je résume à Weber le plan que j’ai conçu ; nous tombons joyeusement dans les bras l’un de l’autre ; en nous quittant, nous nous écrions : « Vive notre Freischütz ! »

Der Freischütz s’inspire en effet d’une histoire du folklore allemand déjà utilisé dans trois opéras oubliés aujourd’hui, en 1812 par Carl Neuner et en 1816 par Ferdinand Rosnau d’une part et Franz Roser de l’autre. Mais le succès ne viendra qu’avec Weber en 1821. Le sujet permet le rassemblement de toutes les valeurs et de nombreux fantasmes qui animent le romantisme allemand. Une vive exaltation de la nature tout autant bénéfique que dangereuse, la notion de l’homme et de son double, l’amour, la mort, les rêves et les cauchemars, le bien et le mal, bref tous les ingrédients permettant à l’homme de laisser libre cours aux archétypes de son esprit. 

Le premier acte plante le décor et cerne l’intrigue. Dans la forêt, Killian célèbre sa victoire lors d’un concours de tir. Kuno, le garde forestier est inquiet car son préféré, Max est le perdant. Ce dernier doit participer à un autre concours dès le lendemain pour gagner la main d’Agathe, fille de Kuno, et s’assurer ainsi le poste de garde forestier. Resté seul, Max est désespéré craignant d’avoir perdu toute l’adresse au tir. Feignant l’amitié, Kaspar console Max avec du vin et prétend posséder des balles magiques qui garantissent le succès. Mais elles doivent être fondues à minuit dans la Gorge aux Loups (endroit réputé horrible et infernal). Par amour pour Agathe et à l’insu de celle-ci, Max finit par accepter de s’y rendre à l’heure dite. Kaspar, qui a signé un pacte avec Samiel, incarnation du diable, espère s’octroyer un sursis sur terre en lui livrant le sort de Max. Il se réjouit donc de constater que Max tombe dans son piège.


Freischütz, Kaspar et Max


 

Le deuxième acte montre un gros plan d’Agathe. Dans sa chambre, la fille de Kuno et sa cousine Ännchen son en train de fixer au mur le portrait de l’ancêtre qui vient de s’effondrer en tombant sur le front d’Agathe. Ännchen est gaie et vive. Pure et inquiète, Agathe, elle, ne trouve pas le sommeil et admire le ciel nocturne en implorant la protection divine. Mais l’arrivée de Max lui rend la joie. Pourtant, lorsqu’il lui annonce son intention de se rendre dans la Gorge du Loup, elle est terrifiée. A minuit Kaspar passe un nouveau pacte avec le diable : six balles atteindront leur but, et la septième atteindra la cible que Samiel aura choisie. Max rejoint Kaspar resté seul et ils fondent les balles. Au moment de la dernière, un orage terrible éclate et Samiel apparaît en tendant lui-même la balle à Max.


Freischütz, Scènes
 


 

Le troisième acte se déroule le lendemain matin. Max et Kaspar ont déjà tiré six balles avec succès. Mais Max ignore que sa dernière est destinée à tuer Agathe. Chez elle, dans sa robe de mariée, elle croit que Dieu veille sur elle, mais raconte un mauvais rêve à sa cousine. Elle était une colombe blanche et Max l’abattait. Elle redevenait alors Agathe, mais morte. Ännchen tente de la rassurer et tous se rendent dans la forêt pour le banquet de noces. Kaspar grimpe dans un arbre pour observer la scène. Max se prépare à tirer sa dernière balle. Le prince Ottokar, organisateur du concours désigne une blanche colombe comme cible pour Max. Il la suit des yeux et au moment où il tire, Agathe se précipite en l’enjoignant de ne pas la viser car elle est la colombe. Trop tard ! Le coup est parti. Agathe s’effondre et Kaspar tombe de l’arbre et meurt dans de grandes souffrances. La colombe, elle, s’est enfuie et Agathe n’est qu’évanouie. Max avoue alors à Ottokar et à Kuno ce qu’il a fait et il est chassé malgré les réprobations de tout le monde. Surgit comme un deus ex machina l’ermite qui déclare que la faiblesse de Max était humaine et qu’elle doit être pardonnée. Ottokar décrète alors que Max pourra épouser Agathe après un an de bonne conduite. Tous prient Dieu et remercient l’ermite de sa clémence.