Perspectives

Dans cette gigantesque (666 X 990 cm !) et célèbre composition, le grand peintre vénitien Paulo Caliari, dit Paul Véronèse (1528-1588), utilise de manière spectaculaire la perspective linéaire et la perspective aérienne.


Véronèse, Noces de Cana.JPG

Voici donc quelques explications techniques. Que les dessinateurs et les peintres me pardonnent la description suivante, forcément incomplète et réductrice. La perspective (du latin perspicere, voir clairement), est l’art de représenter sur une surface plane ou courbe les corps ou les objets, tels qu’ils paraissent vus à une distance et dans une position données. Elle comprend le dessin, donc l’ensemble des lignes qui déterminent le contour du tout et des parties, le clair-obscur, qui en fait sentir le relief, et le coloris, qui en montre la véritable apparence. Bornée au dessin, la perspective est dite linéaire, et c’est la géométrie descriptive qui en fournit les règles; quand les ombres ou les couleurs sont jointes au dessin, on la dit aérienne, parce qu’elle a. pour objet la modification de la lumière et de l’ombre en raison de la masse d’air qui se trouve entre le dessinateur et l’objet qu’il représente.


Véronèse, Noces de Cana Perspectives.PNG

Perpectives

Les Noces de Cana (1562-63) représentent le fameux miracle de la transformation de l’eau en vin par Jésus, tel qu’il est relaté dans l’Évangile selon Saint Jean. Il s’agit d’une grande fête qui se déroule sur deux plans transposés dans un fastueux palais vénitien de style renaissance inspiré par l’architecture classique antique.

Au-dessous du balcon où sont rassemblés les serviteurs, est représenté le banquet nuptial avec ses convives autour des tables. Au centre se trouvent Jésus et Marie reconnaissables à leur seule auréole lumineuse.  Au premier plan, un groupe de musiciens offre un concert aux invités, selon la coutume dans les cours de la Renaissance. La fidélité de la représentation des violes de gambe et de bras sont d’une bonne utilité pour l’inventaire iconographique des instruments anciens.


Véronèse, Noces de Cana, détail musiciens.PNG

 

Le poète Marco Boschini, est le premier, au milieu du XVIIe siècle, à interpréter le groupe de musiciens qui se trouve au centre du tableau comme des portraits de Véronèse, Bassano, le Tintoret, et le Titien. Véronèse, une viole de gambe à la main, Bassano, tenant un cornet droit, Tintoret avec un petit violon, et le Titien avec une basse de viole. Cette séduisante interprétation se heurte cependant au peu de ressemblance des musiciens des Noces de Cana avec les autoportraits peints par ces peintres.

Les tables, les objets et les personnages sont réalisés selon les règles de nos de la perspective centrale (perspective frontale à un point de fuite, nommée également perspective centrale). Pour la réaliser, l’observateur doit impérativement se positionner en face de ce qu’il regarde, avec la ligne de son regard parallèle au sujet. Il n’y aura qu’un seul point de fuite dont la position sera conditionnée par la hauteur du regard et la position du spectateur. Convergeront donc vers le point de fuite toutes les droites qui sont perpendiculaires à la ligne de votre regard. Dans la majorité des cas, on s’arrange pour décentrer le point de fuite afin d’éviter une représentation trop symétrique. Le point de fuite peut alors se trouver dans les proportions du nombre d’or, proportion particulièrement parfaite entre une grande et une petite partie (0,618 de 1).

Ainsi, les figures diminuent de grandeur à mesure que l’on passe du premier plan à l’arrière plan. Mieux encore, les curieux, perchés sur les terrasses et les corniches, donnent, avec la réduction de leurs proportions, l’impression de profondeur.


Véronèse, Noces de Cana, détail spectateurs.PNG

Véronèse a fait intervenir tous les indices visuels que notre système de perception interprète comme des facteurs d’éloignement des objets dans l’espace. Même la couleur du deuxième plan au troisième, puis au dernier, perd graduellement de son intensité pour créer l’illusion optique d’un espace qui confine avec le ciel.

Avec son format impressionnant de 666 x 990 cm, Les Noces de Cana est sans doute le plus imposant des tableaux anciens présents dans les collections nationales françaises, et en tout cas, de celles du Louvre. La hauteur de 666 centimètres n’est pas un clin d’œil à l’Apocalypse de saint Jean mais une pure coïncidence, puisque le système métrique n’existait pas à l’époque de Véronèse.

On y dénombre 132 personnages, dont certains sont des portraits de personnes ayant existé. Au centre de la table, à l’endroit que devraient occuper les mariés se trouvent Jésus et Marie, sa mère. Tout deux sont nimbés d’une auréole dont celle du Christ est la plus lumineuse. Les mariés, eux, sont à l’extrême gauche de la toile, relégués au bout de la table.

Insistant sur la fête que constituent des noces plus que sur la lourde symbolique qu’impose l’illustration de textes issus de l’Évangile, Véronèse semble se complaire dans une ivresse toute vénitienne (on disait des Vénitiens qu’ils croyaient « énormément en saint Marc, assez en Dieu et peu ou pas du tout au pape »), ultramoderne (certains éléments d’architecture sont empruntés à des bâtiments créés par Palladio l’année même) et cosmopolite (sont mêlés vêtements orientaux et occidentaux).

Véronèse a choisi de représenter le banquet des noces à la fin duquel Jésus transforme l’eau en vin. Ce premier miracle du Christ marque son entrée dans la vie publique. La toile est très fidèle à l’Évangile de Jean. La seule différence vient du fait que le peintre transpose le banquet dans un contexte vénitien qui lui est contemporain.

Malgré ses couleurs chatoyantes et sa foule joyeuse, le tableau de Véronèse contient sa part d’ombre. Plusieurs signes renvoient à la finitude de l’homme. Sur la table de musique, au centre du tableau, un sablier est posé. Il souligne ainsi l’idée du temps qui passe et ne se rattrape pas. La musique jouée par l’orchestre prend alors un sens. La musique est à l’image du temps et de la vie, elle fuit irrémédiablement. C’est peut-être une forme de mise en garde à l’attention des convives.


Véronèse, Noces de Cana, détail sablier.PNG

Tempus fugit, le sablier sur la table des musiciens

À l’exact centre de la toile, juste au-dessus de la tête de Jésus, se trouve un morceau d’agneau qu’un boucher découpe. Ce détail annonce le futur sacrifice de Jésus. Jésus est en effet l’agneau sacrificiel, Agnus Dei. Juste à côté de la figure du Christ est représentée sa mère, Marie, qui porte un voile noir préfigurant le deuil prochain de son fils. Du doigt elle désigne un verre vide. Ainsi, elle incite Jésus à accomplir son premier miracle.

Véronèse, Noces de Cana, détail Jésus et Marie.PNG

La transformation de l’eau en vin annonce le passage de l’Ancienne Loi, celle des Hébreux qui le purifiaient par l’eau dans les Temples, à la nouvelle Loi, celle du Christ qui se fera dans le sang (le vin) lors de la Crucifixion, nouvelle Loi d’amour et de sacrifice. On pourrait ainsi discourir bien longtemps sur ce chef-d’œuvre unique en son genre qui allie, la perfection technique à la rhétorique. Exceptionnel !