Don Juan

Vendredi 11 février, je présenterai le poème symphonique consacré à Don Juan de Richard Strauss à la Salle philharmonique avec l’Orchestre philharmonique de Liège dirigé par le chef finlandais Petri Sakari… l’occasion pour moi de me plonger dans la version romantique du mythe… bien différent de celui que mettaient en scène Mozart et Da Ponte.

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Richard Strauss

Strauss s’est inspiré du récit inachevé de Nicolas Lenau (1802-1850), auteur au destin tragique à qui nous devons également un Faust et qui s’inscrit parfaitement dans la lignée du romantisme allemand, en donnant à ses héros une dimension surhumaine (anticipation du surhomme de Nietzsche). En 1844, il entreprend la rédaction d’un Dom Juan, dont les fragments parurent après sa mort. La même année, après une attaque, sa folie grandissante ne lui permet plus de vivre normalement : de la fenêtre d’un rez-de-chaussée qui appartenait à ses amis de Stuttgart, il avait sauté en chemise et chaussettes et crié : « Je veux aller là où se trouve la liberté ! » Il est interné en octobre (toujours 1844) dans la « maison de santé » (c’est-à-dire un hôpital psychiatrique) de Winnenthal près de Stuttgart, puis transporté en mai 1847 dans le « centre de soin » du Dr. Görgen à Oberdöbling près de Vienne, où il passe trois ans encore avant de mourir. Il semble que sa folie soit aussi due à une syphilis qui a dégénéré. Mais je ne vous en dis pas plus pour l’instant, réservant mes commentaires le concert. Voici les derniers vers du fragment, ceux de la mort de Don Juan :

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Nikolaus Lenau

DON JUAN, Lisant la liste, à part lui.

Souvenirs, dames autrefois aimées ! Desséchées jusqu’à la fleur dernière, jadis céleste musique ce qui à présent est un mot insipide. Que les choses se fanent donc vite, et les noms ! Encore une fois le souvenir me fait passer de l’une à l’autre de ces gracieuses dames. – coutume pleine de sens que de sacrifier tous les ans sur l’autel des dieux les premiers-nés. Qu’elle est aimable, la première verdure des feuilles, le premier parfum, le premier chent d’une journée printanière ! Qu’il est délicieux, en mer, près du lointain rivage, le premier coup d’œil sur la terre désirée ! Les premières couronnes de la gloire sont aussi les plus brillantes, c’est le premier baiser qui donne l’ivresse la plus douce. S’il est encore dans l’au-delà un ciel, il doit lui aussi être au plus beau à sa frontière. C’est pourquoi l’on pouvait nommer ce qu’il y a de plus doux dans l’amour le premier effleurement d’une passion nouvelle. La tristesse provenant de ce que certains enchantements se dissolvent, rehausse l’attrait et la force du nouveau bonheur. Pourquoi faut-il que la source la plus riche tarisse ! Oh ! Si nous pouvions mourir en chaque plaisir et, renaissant avec un cœur rajeuni, nous précipiter au devant de délices toujours nouvelles !

À Don Pedro.

Voulez-vous prendre charge de ce document et l’exécuter ?

DON PEDRO

Sur ma parole de chevalier ! Par égard pour les délaissées.

DON JUAN, lui tendant le document.

C’est bien ! Montrez maintenant si vous possédez l’art de l’escrime. Que vous êtes une mazette, je vais vous le prouver.

Ils se battent.

DON JUAN

Vraiment, vous êtes ce pour quoi je vous ai pris. Trois fois déjà j’aurais facilement pu vous percer le cœur, ce cœur si plein de haine, mais si mal protégé, si je me servais plus sérieusement de mon épée. Vous voici touché – encore touché – et encore ! Vous versez bien du sang sur mes planches. En maints endroits je vous ai mis en perce, mais je ne vous fais en jouant que des piqures légères. Don Pedro, par ma foi, je ne me suis jamais senti plus à l’abri que devant votre attaque. Le duel avec vous, je l’appelle un jeu d’enfant. Oui, votre escrime est de tout repos.

DON PEDRO

Inflige-moi la mort, non ces petites saignées. Ne me fais pas d’affront, homme exécré ! Au combat le diable seul peut te vaincre. Pousse ferme, que je ne puisse plus te voir !

DON JUAN

Mon ennemi mortel est livré entre mes mains. Mais cela même m’indiffère, comme la vie tout entière.

Il jette son épée, Don Pedro le transperce.