La Condition humaine

« Tel le voyageur, parvenu le soir au sommet de la montagne, s’assied à l’endroit où son œil découvre à la fois la vallée qu’il vient de franchir et le paysage qui se déroule devant lui ; il regarde en arrière, à travers la brume il reconnaît son sentier, il entend le bruit du torrent dont les eaux mugissantes faillirent arrêter ses pas, il respire encore le parfum des buissons qui bordaient la route, puis, s’armant de forces nouvelles, il se remet en marche après avoir embrassé du regard l’espace qu’il lui reste à parcourir. Ainsi l’esprit de l’homme à cette heure de transition se retourne vers ses jours écoulés, évoque à lui le souvenir des œuvres achevées, des notions acquises, des erreurs combattues, et reçoit du passé l’enseignement de l’avenir. » Franz Liszt, Revue musicale de l’année 1836.

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Carl Gustav Carus, Pèlerin dans une vallée rocheuse, 1820

 

« Avez-vous écrit l’histoire de votre vie ? » lui demandai-je un jour.
« C’était bien assez de la vivre, ma vie. » Franz Liszt, Propos rapportés.

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F. Liszt en 1856 par Wilhelm von Kaulbach

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 Caspar David Friedrich, Moine devant la mer (1808-1810)

 

« En donnant à l’homme physique toutes les jouissances dont il est susceptible, en lui soumettant la matière, l’industrie laisse le champ libre à l’homme intellectuel qui sent d’autres besoins se réveiller en lui dévoilant les secrets de l’univers ; mais lorsqu’il atteint le mystère insondable qui sert de base à toutes choses créées, son imagination, dégoûtée du visible aspire vers l’idéal, vers l’infini, vers le beau éternel dont l’art lui offre alors les radieuses et sublimes images. Ces trois forces civilisatrices concourent simultanément à l’œuvre de régénération ; chacune d’elle a une mission sainte à remplir, dont nous avons le droit de lui demander compte dans l’intérêt même de la société pour laquelle il est utile aussi d’interroger le passé, d’examiner les diverses phases qu’ont subies dans leur développement l’art, la science et l’industrie, afin de consolider les progrès accomplis et de diriger toujours de plus en plus vers un but identique les efforts partiels et les tentatives isolées. » Franz Liszt, Revue musicale de l’année 1836

« Notre vie est-elle autre chose qu’une série de préludes à ce chant inconnu dont la mort entonne la première et solennelle note ? L’amour forme l’aurore enchantée de tout existence ; mais quelle est la destinée où les voluptés du bonheur ne sont point interrompues par quelque orage, dont le souffle mortel dissipe ses belles illusions, dont la foudre fatale consume son autel, et quelle est l’âme cruellement blessée qui, au sortir de ces tempêtes, ne cherche à reposer ses souvenirs dans le calme si doux de la vie des champs ? Cependant, l’homme ne résigne guère à goûter longtemps la bienfaisante tiédeur qui l’a d’abord charmé au sein de la nature, et lorsque la trompette a jeté le signal des alarmes, il court au poste périlleux quelle que soit la guerre qui l’appelle à ses rangs, afin de retrouver dans le combat la pleine conscience de lui-même et l’entière possession de ses forces. » Franz Liszt, Programme des Préludes.

 

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Textes cités par Nicolas Dufetel dans Franz Liszt, Tout le ciel en musique, Pensées intempestives, Paris, Éd. Le Passeur, 2016, pp.107-190.