Laure et Pétrarque (détail), Fresque dans la maison du poète à Arquà Petrarca
Franz Liszt, Années de pèlerinage, 2ème année, Italie, Sonnet 104 de Pétrarque interprété par Lazar Berman.
« Ayant parcouru en ces temps bien des pays nouveaux, bien des sites divers, bien des lieux consacrés par l’histoire et la poésie ; ayant senti que les aspects variés de la nature et les scènes qui s’y rattachaient ne passaient pas devant mes yeux comme de vaines images, mais qu’elles remuaient dans mon âme des émotions profondes, qu’il s’établissait entre elles et moi une relation vague mais immédiate, un rapport indéfini, mais réel, une communication inexplicable mais certaine, j’ai essayé de rendre en musique quelques unes de mes sensations les plus fortes, de mes plus vives perceptions… […] À mesure que la musique instrumentale progresse, elle tend à s’empreindre de cette idéalité qui a marqué la perfection des arts plastiques, à devenir non plus une simple combinaison de sons, mais un langage poétique plus apte peut-être que la poésie elle-même à exprimer tout ce qui, en nous, franchit les horizons accoutumés, tout ce qui échappe à l’analyse, tout ce qui s’attache à des profondeurs inaccessibles, désirs impérissables, pressentiments infinis. C’est dans cette conviction et cette tendance que j’ai entrepris l’œuvre publiée aujourd’hui, m’adressant à quelques-uns plutôt qu’à la foule, ambitionnant non le succès mais le suffrage du petit nombre de ceux qui conçoivent pour l’art une destination autre que celle d’amuser les heures vaines, et lui demandent autre chose que la futile distraction d’un amusement passager».
F. Liszt, préface de la première édition des Années de pèlerinage.
Paix je ne trouve et n’ai à faire guerre,
Et je crains et espère, et brûle et suis de glace,
Et vole au ciel et sur la terre gis,
Et rien n’étreins et tout le monde embrasse.
Telle m’a en prison, qui ne m’ouvre ni ferme
Et me tient pour sien, et ne défait le lacs,
Et ne me tue Amour ni ne défait mes fers,
Et ne me veut vivant ni ne me tire d’empas.
Je vois sans yeux et n’ai de langue et crie
Et j’aspire à périr et demande secours,
Et je me porte haine et aime autrui.
Je me pais de douleur et pleurant ris,
Egalement me déplaît mort et vie.
En cet état je suis, Dame, à cause de vous.
(Pétrarque, Sonnet 104)
« La grandeur au dessus de tout ! Liszt la cherche dans le feu passionné de ses premières amours, croit la rencontrer dans l’art et ne la trouve finalement que dans le dépouillement austère qui conduit à Dieu. C’est de cette étonnante ascèse que nous entretiennent les Années de Pèlerinage ; elles accompagnent la montée vers la lumière d’un artiste romantique dont la nostalgie de l’Absolu s’identifie avec un sens mystique de l’art ; et nous ne saurions en trouver d’écho plus complet, plus fidèle et plus pur dans aucune des autres œuvres si géniales fussent-elles ».
Guy Ferchault, « Liszt : Les Années de Pèlerinage », livret du coffret enregistré par Lazar Berman, Deutsche Grammophon, 2002, p. 20.
Laure et Pétrarque, Fresque dans la maison du poète à Arquà Petrarca