«Audacieux novateur! Tu es un dieu, Modeste!
Quelle inspiration dans tes cacophonies!
Comme tu sais manier la noble dissonance!
Tu es un dieu Modeste, un dieu sans le savoir!»
César Cui (1835-1918)
Viktor Hartmann (1834-1873), Horloge en forme de Maison de Baba Yaga (détail)
Modeste Moussorgski (1839-1881), Tableaux d’une Exposition, La Maison sur pattes de poule, Baba-Yaga, interprétée par Ivo Pogorelich.
Viktor Hartmann (1834-1873), Horloge en forme de Maison de Baba Yaga.
Voici un lien vers l’Histoire complexe et protéiforme de Baba-Yaga
Modeste Moussorgski (1839-1881), Tableaux d’une Exposition (orchestration de M. Ravel), La Maison sur pattes de poule Baba-Yaga, interprétée par l’Orchestre philharmonique de Vienne, dirigé par Valery Gergiev.
Ilya Repine (1844-1930), Portrait de Modest Moussorgski, 1881.
Modeste Moussorgski (1839-1881), Tableaux d’une Exposition, La Grande Porte de Kiev, interprétée par Ivo Pogorelich.
Modeste Moussorgski (1839-1881), Tableaux d’une Exposition (orchestration de M. Ravel) La Grande Porte de Kiev, interprétée par l’Orchestre philharmonique de Vienne, dirigé par Valery Gergiev.
« Viktor Hartmann, né en 1834, avait brillamment terminé l’École des Beaux-Arts en 1861. Aussitôt après, pour se perfectionner, il avait entrepris un voyage de huit ans à l’étranger, visitant la France, l’Italie et l’Allemagne. Son objectif était de créer un nouveau style d’architecture, un style qui conciliât « les éléments naturels russes » avec le style européen. Jusqu’alors, Moscou était spécifiquement russe, tandis que Saint-Pétersbourg avait été bâtie uniquement par des étrangers: Rossi, Rastrelli, Cavos et leurs disciples.
Somme toute, il souhaitait étendre à l’architecture une formule qui, en musique, avait inspiré Glinka, lequel disait: « Par les liens légitimes du mariage, je voudrais unir le chant populaire russe et la bonne vieille fugue d’Occident« . De ce fait, il ne pouvait manquer de s’entendre avec les membres du « Groupe des Cinq » qui se considéraient comme les héritiers spirituels et les exécuteurs testamentaires de l’auteur d’Ivan Soussanine.
Stassov et Moussorgski avaient tout particulièrement sympathisé avec Viktor Hartmann: ils passaient des nuits entières à discuter des destinées de l’art. Moussorgski travaillait alors à Boris Godounov, et Hartmann préparait des projets pour une salle de théâtre populaire à Moscou et à Saint-Pétersbourg, une salle de conférences à Moscou, une porte monumentale à Kiev. Les deux amis se montraient leurs ébauches et en discutaient en commun.
Le 23 juillet 1873, Viktor Harmann mourut soudainement, succombant à une rupture d’anévrisme, et ce fut pour Moussorgski, un choc terrible.
Pour honorer la mémoire de l’ami défunt, Stassov rédigea un important nécrologe et fit une relation à l’Union des Architectes. Puis, avec l’aide du comte de Suzor, il organisa en janvier 1874, à l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg, une exposition d’aquarelles, de maquettes et de projets de Hartmann. Moussorgski, ayant assisté à l’inauguration et l’ayant visitée depuis à plusieurs reprises, voulut, à son tour, rendre un hommage musical à la mémoire de l’architecte. Ainsi naquirent les Tableaux d’une Exposition, mentionnés pour la première fois dans une lettre adressée à Stassov et datée du 12 juin 1874.
« Hartmann bouillonne comme bouillonnait Boris. Les sons et les idées m’arrivent comme des pigeons, tout rôtis. J’en avale et j’en avale au point d’en avoir une véritable indigestion. J’ai peine à noter tout cela sur le papier. J’en suis actuellement au numéro quatre. Les transitions sont bonnes: des « promenades ». je voudrais tâcher de faire vite et bien. Mon propre visage apparaît dans les interludes. Jusqu’à présent, tout cela me semble assez réussi. Je vous embrasse, et je sais que vous m’accorderez votre bénédiction. » Moussorianine
[…] Une collection de « faux » en musique? Moussorgski a-t-il « photographié » l’Exposition Hartmann? Certains l’ont cru puisqu’on a proposé des analyses détaillées et même parfois des reproductions des dix tableaux! Cela ne manque pas de saveur, puisque, sur les dix tableaux, trois seulement ont existé réellement et qu’en outre, leur représentation musicale est singulièrement éloignée de l’original!
Ces trois « tableaux » sont : le Ballet des poussins dans leur coque (Hartmann avait dessiné les costumes du ballet de Trilby, où l’on voyait cette scène), la Cabane sur des pattes de poule et la Grande Porte de Kiev. Grande est notre surprise lorsque nous observons les sources d’inspiration de Moussorgski: le dessin représentant les poussins est le plus rudimentaire, le moins intéressant qui soit: la Cabane sur des pattes de poule (cette légendaire demeure de « Baba-Yaga », la vilaine sorcière des contes populaires russes, l’équivalent de notre loup-garou que Moussorgski a traité d’une si fulgurante manière) est bien éloignée de l’horloge de bois représentée par Hartmann. Et la somptueuse, la rutilante Grande Porte de Kiev de Moussorgski offre-t-elle la moindre analogie avec l’étrange maquette, faussement russe, imaginée par l’architecte? »
Michel-R Hofmann, La Vie de Moussorgski, Paris, « Vies et Visages, Éditions Albin Michel, 1964, pp.257-260.