Un jour… Un chef-d’oeuvre! (48)

La nuit tombait… je me suis penché pour la ramasser…
Alphonse Allais (1854-1905)

48a. Capar David Friedrich, Lever de lune sur la mer, 1822

Capar David Friedrich (1774-1840), Lever de lune sur la mer, 1822.

La Sehnsucht est un substantif de la langue allemande de genre féminin généralement traduit en français par « vague à l’âme », « aspiration », « ardeur » ou « langueur ». Néanmoins, il est presque impossible de traduire fidèlement ce terme allemand dont le sens décrit un état émotionnel intense.

Le sens de die Sehnsucht n’est ni un sentiment foncièrement négatif ni positif : il représente un objet du désir inaccessible et qu’il n’est pas forcément souhaitable d’atteindre. C’est une émotion en rapport à une certaine incomplétude ou imperfection. Elle a été décrite comme une soif de vie ou une quête individuelle du bonheur se heurtant à la réalité de souhaits non satisfaits.

Il peut s’agir d’un désir mélancolique d’un pays lointain, mais pas d’un pays tangible ou identifiable, plutôt d’un environnement familier. Dans ce sens, die Sehnsucht est une sorte de nostalgie, dans son sens premier, c’est-à-dire un mal du pays, la nostalgie d’un paradis perdu. Il peut également s’agir d’un désir d’une personne ou d’une chose. Mais dans la majorité des cas, la personne sehnsüchtig n’est pas consciente de ce qu’elle convoite, et le sentiment est si intense et profond qu’elle ne peut qu’éprouver l’émotion sans se rendre compte que celle-ci traduit un manque ou un désir.

Johannes Brahms (1833-1897), Concerto pour piano No. 1 in D Minor, Op. 15 – II. Adagio · Emil Gilels · Berliner Philharmoniker · Eugen Jochum.

PORTIA «— Comme s’évanouissent dans les airs toutes les autres émotions, — inquiétudes morales, désespoir éperdu, — frissonnante frayeur, jalousie à l’œil vert ! — Ô amour, modère-toi, calme ton extase, — contiens ta pluie de joie, affaiblis-en l’excès ; — je sens trop la béatitude, atténue-la, — de peur qu’elle ne m’étouffe.»

William Shakespeare (1564-1616), Réplique de Portia dans Le Marchand de Venise (1598), scène XIV, Traduction par François-Victor Hugo, Œuvres complètes de Shakespeare, Pagnerre, 1872, 8 (p. 171-280).

Mélancolie apaisée

(Gestillte Sehnsucht version originale en allemand)

Baignées dans l’éclat doré du soir,
Comme les forêts se tiennent solennellement.
Sur les chants délicats des oiseaux se répand
Le doux souffle des brises du soir.
Que chuchotent le vent et les petits oiseaux ?
Ils chuchotent pour que le monde dorme.

Vous, les désirs, qui êtes toujours agités
Dans le cœur sans repos ni paix !
Toi, la nostalgie, qui émeut la poitrine,
Quand trouverez-vous le repos, quand dormirez-vous ?
Dans le murmure des vents, des petits oiseaux,
Vous, désirs ardents, quand trouverez-vous le sommeil ?

Que va-t-il arriver porté par les ailes du rêve ?
Qu’est-ce qui me rend si anxieux, si doux ?
Cela vient des collines lointaines,
Cela vient des reflets de l’or du soleil,
Le vent, les petits oiseaux chuchotent agréablement,
Le désir, le désir ne s’endort pas.

Hélas, quand dans le lointain doré cessera
Mon esprit de se hâter sur les ailes des rêves,
Quand vers les étoiles toujours lointaines cesseront
Mes yeux de s’attarder avec un regard languissant ;
Alors le vent, les petits oiseaux, chuchoteront
En accord avec mon âme et ma vie.

Friedrich Rückert (1788 – 1866), « Jugendlieder » (Chants de jeunesse), 1816

Johannes Brahms, Gestillte Sehnsucht op.91 n°1 interprété par Anne-Sofie von Otter (mezzo), Erik Sparf (alto) et Bengt Forsberg (Piano).