Un jour… Un chef-d’oeuvre! (54)

« Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise,
Laisser du cœur vermeil couler la flamme et l’eau,
Et comme l’aube claire appuyée au coteau
Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise… »

Anna de Noailles (1876-1933)

53a. Max Liebermann (1847-1935), Samson et Dalila, 1902.

Max Liebermann (1847-1935), Samson et Dalila, 1902.

Camille Saint-Saëns (1835-1921), Samson et Dalila, Acte 2 « Mon cœur s’ouvre à ta voix » interprété par Maria Callas, orchestre dirigé par Georges Prêtre, 1961.

Prisonniers des Philistins, les Hébreux implorent le Dieu d’Israël. Samson, valeureux héros, tue Abimélech et encourage les siens à se rebeller contre les Philistins. Le peuple d’Israël rompt alors ses chaines et parvient à s’enfuir – sous les menaces vipérines du Grand Prêtre de Dagon qui jure vengeance. Celui-ci retrouve la voluptueuse Dalila, décidée à séduire Samson, de façon à percer le secret de sa force – dans le seul but de venger son peuple. Dans un duo débordant de lyrisme, Dalila fait chavirer le cœur du héros qui, malgré les mises en garde d’un vieillard hébreu, succombe à son amour… et au piège tendu par la belle : à peine a-t-il dévoilé que sa force réside dans sa chevelure que Samson est arrêté, ses cheveux coupés et ses yeux crevés. Dans sa prison, implorant le pardon pour sa faiblesse, il prie pour la libération de son peuple. Puis, touché par la foi, il retrouve subitement sa force lors d’un bal philistin, et parvient à faire écrouler leur temple ; Dalila et son peuple sont anéantis. (plus d’informations sur l’opéra)

Mon cœur s’ouvre à ta voix est un air de mezzo-soprano de l’opéra de Camille Saint-Saëns, Samson et Dalila. Il est chanté par Dalila dans l’acte II lorsqu’elle tente de séduire Samson pour qu’il lui révèle le secret de sa puissance (qui se trouve dans son abondante chevelure).

Mon cœur s’ouvre à ta voix,
Comme s’ouvrent les fleurs
Aux baisers de l’aurore!
Mais, ô mon bien-aimé,
Pour mieux sécher mes pleurs,
Que ta voix parle encore!
Dis-moi qu’à Dalila
Tu reviens pour jamais,
Redis à ma tendresse
Les serments d’autrefois,
Ces serments que j’aimais!
Ah! réponds à ma tendresse!
Verse-moi, verse-moi l’ivresse!

Ainsi qu’on voit des blés
Les épis onduler
Sous la brise légère,
Ainsi frémit mon cœur,
Prêt à se consoler,
À ta voix qui m’est chère!
La flèche est moins rapide
À porter le trépas,
Que ne l’est ton amante
À voler dans tes bras!
Ah ! réponds à ma tendresse!
Verse-moi, verse-moi l’ivresse!

« Saint-Saëns, d’où vient-il, que qui procède-t-il? La réponse est facile: de Bach, Beethoven, Schumann, Mendelssohn, Berlioz et Wagner. Les grands aînés. Il les a pratiqué tout au long de son existence: « J’ai, écrit-il dans Harmonie et Mélodie,  longuement étudié les oeuvre de Richard Wagner. J’ai fait de cette étude mes plus chères délices, et les représentations de ses oeuvre auxquelles j’ai assisté m’ont laissé une impression profonde que toutes les théories du monde ne me feront jamais ni oublier, ni renier. » Mail il n’a jamais été inféodé à qui que ce soit, ne s’est jamais laissé capter. Saint-Saëns a toujours été lui-même: sa position personnelle n’a pas changé et ses admirations ne le pousseront jamais à une quelconque servitude. Il n’est, ne veut être, le disciple, le reflet, le continuateur d’aucun autre; lié, soumis à nul compositeur, étranger aux variations des systèmes, aux influences des écoles, aux courants de la mode – qui n’ont aucune prise sur lui.

Lui? C’est à dire la mise en oeuvre de binômes: méthode et logique; maîtrise et résolution; clarté et concision; précision et netteté; verve et esprit. Et s’il a été lui-même, personne n’a été lui: Saint-Saëns demeure « sui generis ». On l’a dit « classique ». Certes, par l’esprit, le recours à la litote; par sa volonté de rester transparent et de faire taire les sentiments trop vifs. Mais le classicisme, c’est aussi – et surtout – le triomphe de la tonalité. Or chez Charles-Camille, on rencontre de nombreuses entorses, de nombreux aménagements et modulations, une rythmique très personnelle. Il a vécu constant et serein, dans une époque troublée sur tous les plans – politique, social, esthétique, religieux. De son temps, la musique a connu romantisme, franckisme, wagnérisme, naturalisme, vérisme, impressionnisme, symbolisme, néo-classicisme: toutes écoles en –isme qui signifient chapelles, enfermement, perte de liberté, œillères – ce qu’il reproche tant à Vicent d’Indy… Si les influences reçues ont contribué à augmenter, à façonner sa personnalité – éventuellement et s’il le faut par rejet – elles n’en ont pas fait un autre compositeur. Immuable, il est resté. Moins qu’un révolutionnaire ou simple évolutionnaire, l’auteur de Samson apparaît comme un prodigieux spectateur gardant en lui, pour lui, ce qui fait sa personnalité, sa vraie figure, sa vraie valeur. Seul (ou presque) à écrire de la musique de chambre, des concertos, des symphonies avant 1860, il persistera, pratiquement le seul, à composer des cantates et des oratorios après 1910. C’est à la fois sa force et sa faiblesse.

En fait, il a été « moderne » tant que les autres étaient en arrière – sinon en retard. Après 1904 – passé 70 ans! – il paraît en arrière parce que les « jeunes » l’ont rejoint, puis dépassé, tandis qu’il demeurait lui: c’était le destin d’un homme devenu vieux au milieu de musiciens plus jeunes que lui de – parfois – deux générations… »

Jean Gallois, Camille Saint-Saëns, Sprimont, Éditions Pierre Mardaga, 2004, pp. 373-374.

53b. Alexandre Cabanel, Samson et Dalila, 1878.

Alexandre Cabanel (1823-1889), Samson et Dalila, 1878.

En 2009, le groupe britannique de rock, Muse, a également repris en partie l’air de Camille Saint-Saëns sur la 8ème piste de l’album The Resistance, intitulée I Belong to You (+Mon cœur s’ouvre à ta voix).

Muse, I Belong to You / Mon cœur s’ouvre à ta voix (Matthew Bellamy) from the album The Resistance (2009-2011).

Laisser un commentaire