Une année ordinaire… ?

Voici encore une année académique qui s’achève, comme toutes les autres, diront les uns épris par la normalité, unique en son genre crieront les autres qui l’ont vécue comme une page historique de l’humanité. Tous ont raison… et, comme toujours, l’idée qu’on se fait des choses dépend de l’angle sous lequel on les regarde.

Oui, cette année a eu son lot de normalité… tout était exactement comme d’habitude jusqu’en mars dernier, les cours se donnaient dans les écoles, les concerts faisaient salle comble, les centres commerciaux ne désemplissaient pas, les avions remplissaient l’espace du ciel en un réseau de trajectoires très serrées, le réchauffement climatique battait son plein dans une certaine indifférence, la politiciens chargés de gérer le pays n’en avaient cure et poursuivaient leurs querelles insensées, les routes étaient embouteillées du matin au soir, les manifestations et le grèves se succédaient à un rythme effréné, bref tout était normal !

Puis, comme un léger bruit de fond à peine perceptible, si loin de nous, ne nous concernant pas vraiment, une toute petite chose, invisible à l’œil nu s’est mise à proliférer… ce n’est rien disaient les uns, des virus, il y en a chaque année… et des pires ! Méfions-nous disaient les autres, mais on les taxait d’alarmistes. Et le bruit de fond s’est rapproché mais toujours inaudible et invisible alors on n’y a pas cru parce que l’être humain, dans son orgueil démesuré, dans ses certitudes, dans son hybris, pour reprendre une notion antique, n’a pas voulu croire que lui, si fort et si intelligent pourrait être terrassé par un ennemi invisible et dérisoirement minuscule.

Et l’urgence s’est imposée… rendant caduque tout ce qui était autrefois normal … pour nous en Belgique, ce fut le jour J… le vendredi 13, tout un symbole, du mois de mars 2020. Depuis plusieurs jours, les salles de cours se vidaient, les conférences s’annulaient, les théâtres et salles de concerts fermaient leurs portes. On annonçait enfin que désormais le confinement quasi-total s’imposait ! Plus rien, plus de magasins, plus de restaurants, de cafés, de concerts, de fêtes, de rassemblements, de réunions familiales… en un mot tout notre monde se mettait entre parenthèses… pour combien de temps ? Nul ne le savait, mais personne ne pensait que l’été, l’automne peut-être, et les saisons suivantes, la situation resterait incertaine, plongeant notre monde dans l’angoisse des catastrophes sanitaires, sociales et économiques inédites et mettant au jour, quelques fois des misères humaines qu’on aurait espéré ne plus voir dans un des pays les plus riches du monde et dont on vantait partout la force du système des soins de santé. Chacun connait la suite…

Mais ce monde entre parenthèse, certains ont cru voir l’aube d’une nouvelle ère, d’autres fatalistes ont courbé le dos et attendu que cela se passe, d’autres encore ont voulu nier le danger et braver stupidement les consignes qui, avouons-le, n’ont pas toujours été claires, c’est un euphémisme. Mais dans cette situation que personne ne connaissait, beaucoup ont voulu continuer à nourrir leur idéal, ont voulu inventer des moyens de communiquer, ont acquis des compétences nouvelles permettant d’exister encore. Car le mot est lâché… « exister » n’est pas qu’une posture qui veut faire voir aux autres que vous êtes là, c’est aussi un acte de survie pour soi-même au vrai sens du mot existentiel. Si je suis là, ici et maintenant, en un mot, si j’existe, dois-je rester caché ? Dois-je renoncer à ce que je suis parce qu’un vilain virus annihile tous mes projets ? Ce fut pour moi, comme pour beaucoup d’autres de mes semblables, une question essentielle, obsédante et parfois apparemment insoluble tant je ne maîtrisais nullement les moyens d’exister au sein d’un lockdown inédit et de durée indéterminée. Je m’informais des initiatives de chacun, je scrutais les attitudes des uns et des autres, de ceux qui tentaient, dans les mêmes sphères que les miennes, de maintenir la tête hors de l’eau… et je me suis souvenu que lors de mon tout dernier cours à l’U3A, à propos de la Quatrième symphonie de G. Mahler, ce fameux vendredi 13, devant une salle presque vide, j’avais terminé en citant le compositeur lui-même qui en marge de sa partition écrivait : « Tout ira bien pour qui peut le croire…! » Certes je connaissais bien l’esprit ironique de Mahler, mais je voulais, pour une fois, dire cette phrase si lourde de sens, avec une vraie nuance d’espoir. C’est en me souvenant que j’avais en moi ce qui devait me permettre d’exister et que je ne devais rien attendre de l’extérieur, que comme beaucoup d’autres, j’ai décidé, cette fois de croire que tout pourrait aller bien.

ZZZ. Jean-Marc Onkelinx 2016

J’y ai été aidé, il faut rendre à César, ce qui appartient à César, par les consignes qui nous ont été données par la direction du Conservatoire royal de Liège où j’enseigne également. L’année ne pouvait pas s’achever ainsi. Il fallait adopter de nouvelles règles qui permettraient de conduire les étudiants à récolter le fruit d’une année académique certes avortée, mais qui pouvait encore exister. Je vous épargne les détails techniques des rédactions de nouveaux descriptifs d’activités, en urgence, de mille contacts par mail et vidéoconférences, tant avec les étudiants qu’avec les collègues, et de processus administratifs divers qui, même simplifiés, ne sont pas « ma tasse de thé » ! Mais j’existais ! Les rapports humains avaient repris, certes virtuels, mais ils étaient bien là. Je m’y suis jeté corps et âme. Moi qui déteste rester assis derrière mon bureau des heures durant, j’y ai passé trois mois et demi. Je ne me plains pas, je pouvais marcher dans le parc de la Citadelle et ses coteaux une heure par jour, la météo était belle et mon bureau donnant sur le jardin permettait l’aération, nos espaces de travail, Jacqueline, mon épouse adorée, faisait du télétravail, n’étaient pas ceux de vie, non ma situation était plus enviable qu’à plaindre… sauf que je venais de perdre 80 conférences et tous les cours que je donne un peu partout… et cela restait très pesant !

C’est alors que j’ai eu l’idée de faire d’une pierre deux coups. Puisque je devais inventer des matières à donner aux étudiants pour qu’ils puissent réaliser leurs travaux de fin d’année, j’ai commencé à rédiger un billet par jour sur mon blog… Un jour… un chef d’œuvre (Un jour avec les Arts), une nouvelle série de transversalités entre les disciplines artistiques, un domaine qui, vous le savez, me tient particulièrement à cœur. Le jeu était de réfléchir sur ces transversalités et de les assimiler comme une alliance en savoirs et compétences. Et vous avez été nombreux à les suivre… avec des pics jusqu’à 1500 lecteurs par jour (au moment où mes chers étudiants devaient me remettre leur travaux…), c’était certes harassant de tenir le coup presque tous les jours, mais c’était une des raisons d’exister… j’en ai publiés 85… et il y en aura encore.

Une autre forme de salut a été dans la demande que La Bibliothèque des Chiroux m’a faite de réaliser de petites capsules vidéo en confinement à partir des thèmes des Jeudis du Classique. J’étais sceptique au départ, car n’ayant aucune compétence en matière de vidéo et qu’il fallait tout produire moi-même, je ne pensais pas pouvoir produire quelque chose de correct. J’ai, en plus, un tel besoin d’auditeurs réels pour m’exprimer pleinement que je mettais en doute ma capacité à m’exprimer pleinement via l’objectif d’une simple tablette… mais je me suis tout de même décidé à tenter l’aventure… après tout, il n’y avait qu’à apprendre, ce que j’adore. Ces vidéos ont eu un très bon succès et je me suis pris au jeu en tentant de les rendre de plus en plus vivantes et d’y intégrer cette transversalité avec les images. Comprenant qu’il n’était pas possible de me laisser divaguer au gré de mes idées comme dans une séance de deux heures, j’ai établi des textes desquels je ne m’écarte pas trop… un exercice si difficile pour moi ! Je viens de terminer la septième, car, vu le succès, nous avons décidé d’en produire jusqu’à la reprise des vraies conférence en septembre ou octobre… il y en aura donc quatre durant l’été… avec de belles surprises, j’espère !

Mais puisque je pouvais réaliser des petites et modestes vidéos, je pouvais aussi tenter de réaliser un Festival VIRTUEL pour le début de l’été… C’est devenu une habitude, l’année académique de notre chère U3A s’achève avec le Festival musical Voyages d’été, mais toujours pour les mêmes raisons, il était, lui aussi, annulé. Qu’à cela ne tienne… il était faisable, grâce aux musiciens qui devaient se produire réellement sur notre scène et aux quelques moyens techniques acquis durant cette période, de proposer des concerts virtuels que je présenterais et qui intégreraient, outre les petits concerts et prestations musicales, des œuvres de l’exposition qui devait, elle aussi, avoir lieu. Vous avez été assez nombreux à suivre ce Festival VIRTUEL, je vous en suis très reconnaissant, l’énorme travail pour le mettre sur pied est ainsi récompensé. Toutes ces vidéos restent disponibles via ce lien.

Festival artistes

Les temps étaient rudes pour nos artistes et je me devais de faire quelque chose. J’ai donc monté cette cagnotte qui a recueilli un grand succès et qui a permis, grâce à votre générosité, d’aider huit musiciens dans le besoin. Laissez-moi vous faire part de toute ma gratitude ! Beaucoup de bénéficiaires m’ont explicitement demandé de vous dire merci ! La cagnotte s’achève aujourd’hui soir, mais si vous le souhaitez, je peux encore recevoir vos contributions qui seront équitablement réparties entre ceux qui en ont le plus besoin. Tous ceux qui y ont participé recevront un mail de ma part avant la fin de cette semaine pour faire le point sur les sommes récoltées et leur redistribution.

Ainsi, la vie a continué durant le confinement, certes pas comme je l’aurais voulue, mais elle a aussi apporté son lot de belles expériences et de formidables surprises. Je retiens la disponibilité des étudiants et leur volontarisme pour mener à bien leurs études, la disponibilité des artistes pour leur participation au festival. Je retiens aussi votre formidable solidarité avec eux et votre fidélité à mes activités. En un mot, vous m’avez permis d’exister durant cette période, c’est une joie inestimable ! Maintenant, chacun va prendre la mesure de l’été et des vacances. Les billets seront moins nombreux et, outre cette longue lettre que je vous adresse, moins longs. D’ici une dizaine de jours, je vais, moi aussi prendre un peu de repos, mais il y aura encore des billets « Un jour… un chef-d’œuvre », je voudrais arriver au chiffre symbolique de 100 et aussi des vidéos des Jeudis du classique. D’ici quelques jours, mes agendas pour la saison prochaine seront en ligne… j’ai pu observer dans mes statistiques que certains d’entre-vous les cherchent déjà !

Sachez enfin que vous me manquez énormément et que je me réjouis de reprendre les activités en présentiel en étant, évidemment, conscient que cela dépendra de l’évolution de la pandémie qui, même si elle s’est atténuée chez nous pour l’instant, n’en reste pas moins endémique. Tout dépendra donc des consignes sanitaires à venir. Alors oui, cette année aura été presque normale… mais tout à fait inédite… c’est un oxymore qui ne me déplaît pas !

Restez prudents et prenez bien soin de vous !

Avec toute ma gratitude et mon amitié… JMO

2 commentaires sur “Une année ordinaire… ?

  1. Avec toute ma gratitude pour avoir gardé des liens précieux à travers vos publications en cette période d’isolement.
    En espérant vous revoir et vous entendre bientôt

Laisser un commentaire