Un jour… Un chef-d’œuvre! (99)

Ma tristesse est limpide comme le cristal…

Alexandre Pouchkine (1799-1837)

Alfons Mucha (1860-1939), L’Étoile (1923)

Au moins quatre études préliminaires sont à l’origine de ce tableau représentant une paysanne russe qui, d’un geste de conciliation, se livre à son inévitable destin. Ce tableau, connu également sous titres Nuit d’hiver et Sibérie, témoigne du grand amour que Mucha porte à la Russie et à son peuple. Il s’y est rendu en 1913 pour travailler sur des ébauches préliminaires pour un des tableaux de son Epopée slave : « Abolition du servage en Russie : Le travail libre – base des Etats ». Sur les photos prises à l’occasion de ce voyage, on voit de nombreuses paysannes russes qui ressemblent à la femme de l’Etoile.

Maruška Chytilová (1882-1959), épouse d’Alfons Mucha et modèle du tableau ci-dessus.

Pourtant c’est la femme de Mucha, Marie (Maruška), qui en est le modèle. Cette peinture pourrait avoir été faite par Mucha en réaction à la terrible souffrance que connait le peuple russe après la révolution bolchévique. Le pays est ravagé par une guerre civile entre 1918 et 1921 et la population est décimée par la crise économique et la famine qui ont suivi faisant des millions de victimes dans la région de la Volga.

 

Pavel Tchesnokov (1877-1944), Ô Dieu, Sauve ton Peuple et bénis ton Héritage, Prière d’intercession, interprété par le Chœur d’Hommes Rybin.

À l’âge de 30 ans, le compositeur russe Pavel Tchesnokov, élève de P.I. Tchaïkovski et professeur au Conservatoire de Moscou, a achevé près de quatre cents œuvres chorales sacrées mais doit faire une pause dans la création d’œuvres liturgiques au moment de la révolution russe. Sous le régime communiste, toute création dans le domaine de l’art sacré est rigoureusement proscrite et Tchesnokov se tourne alors vers la musique profane. Il compose plus d’une centaine d’œuvres laïques et dirige des chorales laïques comme le Chœur de l’Académie de Moscou et le chœur du Théâtre Bolchoï.

Pavel Tchesnokov est maître de chœur de la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou, lorsque celle-ci est détruite par le régime soviétique en 1933, au nom de la politique athée. Cet acte de destruction le choque au point qu’il cesse alors complètement d’écrire de la musique.

Dmitri Chostakovitch (1906-1975), Quintette avec piano, quatrième mouvement, Intermezzo, interprété par S. Richter (piano) et le Borodin String Quartet.

« […] Dans ces temps mauvais de la fin des années trente, Pasternak écrivait à un ami: « J’avais honte que nous puissions continuer à bouger, à nous parler et à sourire. » Son travail sur la traduction d’Hamlet de Shakespeare était une prouesse de salut, de libération, d’avenir.

C’est un peu ce que ressentait Chostakovitch. La plongée dans Moussorgski et Pouchkine joua comme toujours son rôle curatif: elle permit la naissance du Quintette avec piano – peut-être l’œuvre la plus parfaite et la plus harmonieuse de Chostakovitch. On a l’habitude de le ranger parmi les œuvres néo-classiques. C’est en partie justifié, mais le charme immarcescible du Quintette consiste en ce qu’il est absolument dépourvu d’ironie réductrice et de grotesque. Ses motifs néo-classiques sont pénétrés d’une tristesse légère, pouckinienne: « Ma tristesse est limpide… »

Le quintette respire la fatigue empreinte de sagesse d’un homme qui vient de guérir d’une grave maladie. Ici, Chostakovitch avait remonté le temps: de Mahler à Bach. C’était une fois de plus une intuition géniale. L’intelligentsia russe, récemment encore plongée dans l’horreur, avait brusquement envie de voir où elle en était, de respirer un peu.

Un contemporain se rappelle que le Quintette de Chostakovitch avait surgi comme un « cristal précieux, une vérité hors du temps » dans une vie grise et oppressante, pleine « d’un sentiment de peur mêlée de perplexité et de scepticisme envers tout ce qu’écrivaient les journaux et la propagande officielle ». Les auditeurs ne pouvaient s’empêcher de penser aux paroles de Mitia Karamazov à son frère: « Même sous terre, nous chanterons des hymnes! » »

Solomon Volkov, Chostakovitch et Staline, Paris, Anatolia, Les Éditions du Rocher, 2005, pp. 201-202.

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