Un jour… Un chef-d’œuvre (112)

La mélancolie est le partage de tous les hommes de génie.

Cicéron (106-43 ACN)

 

Jean-Baptiste Corot (1796-1875), La Mélancolie, 1860 (détail).

César Franck, Prélude (1822-1890), Fugue et Variations op.18 (1862), interprété par Stephen Hough (arrangement pour piano)

« Durant sa jeunesse d’artiste, Camille Corot avait été un peintre attentif de la figure humaine, décrivant avec précision, durant son voyage à Rome, les costumes et les attitudes des femmes italiennes ou représentant avec affection et réalisme candide les membres de sa famille proche ou ses amis; sa relation avec le genre du paysage historique, héritée de son éducation néoclassique, l’avait d’ailleurs encouragé par la suite à poursuivre l’analyse patiente et académique du corps humain.

Cependant, après 1860, une nouvelle recherche, tout à la fois lyrique, sentimentale et presque abstraite de la réalité, envahissait son œuvre: le genre de la « figure de fantaisie »; inspirés des travaux conjoints menés sur le genre du paysage à travers les fameux « souvenirs », ces recherches picturales visaient à ne plus décrire seulement la figure humaine dans la simple ressemblance nécessitée par le genre du portrait ou dans une attitude liée à un quelconque récit , mais, bien au-delà, d’étudier dans l’expression du corps humain les états d’âme que telle ou telle posture pouvait refléter. Comment décrire les rêveries engendrées par la lecture? Et la concentration intime entraînée par la contemplation d’un tableau? Ou le souvenir d’un morceau de musique? Généralement mise en scène dans la représentation picturale d’une jeune femme, la « figure de fantaisie » fut donc pour Corot un véritable prolongement des recherches qu’il menait devant la nature dans la perspective de la description picturale des sentiments.

Il peignit alors nombre de tableaux où la posture mélancolique était utilisée comme un poncif, évocateur par lui-même de la rêverie du modèle: Me Jeune Femme à la jupe rose, l’Atelier, Une Liseuse, ou la lecture interrompue sont autant d’œuvres dans lesquelles la pose alanguie de la jeune femme représentée s’accompagnait d’une référence directe au sentiment mélancolique devenu une des caractéristiques de l’œuvre de Corot à cette période. Dans ce tableau supprimant la référence à la lecture – un des sujets les plus fréquents et profonds de son œuvre – le peintre s’attachait à la description directe du sentiment mélancolique à travers l’expression d’une jeune femme; sans que nous connaissions son histoire et les raisons de ses états d’âme personnels, nous ressentons profondément les sentiments suggérés par le peintre, en raison des seuls choix d’éclairage et de posture du modèle. La représentation picturale de la mélancolie devient alors une fin en soi, une abstraction, évoquée sans aucune volonté de compréhension ou de justification. »

Vincent Pomarède, dans Mélancolie, Génie et folie en Occident, sous la direction de Jean Clair, catalogue de l’exposition, Paris, Gallimard, 2005, p. 360.

Jean-Baptiste Corot (1796-1875), La Mélancolie, 1860.