Un jour… Un chef-d’œuvre (186)

Pour lui, la musique était joie pure – et il savait me faire partager cette joie.

Arthur Rubinstein (1887-1982)

Henri Matisse (1869-1954), La Leçon de Piano, 1916 (détail).

Francis Poulenc (1899-1963), Trois novelettes interprétées par Gabriel Tacchino.

Le travail du piano est un travail solitaire. À tel point qu’au moment où une oreille étrangère est témoin de votre expressivité, de votre discours instrumental, cela crée une panique. Ce qui n’est évidemment pas le cas des violonistes, des instrumentistes jouant en formation d’orchestre ou de musique de chambre car la présence humaine, l’écoute d’autres oreilles « juges » est pour eux constante. Alors que le pianiste enfermé dans une solitude quasi étouffante n’est pas familiarisé à cela.

Il faut préparer les pianistes à la scène, mais ne pas les forcer à jouer lorsqu’ils ne se sentent pas prêts – ce qui est souvent l’inconvénient des concours -, un concert ou un concours raté pouvant laisser des traumatismes pour de longues années. À l’inverse, il est parfois nécessaire de freiner l’impatience à se produire des jeunes gens, inconscients à la fois de leur manque de maturité et des risques qu’ils courent en s’exposant trop tôt à la critique.

Il faut permettre aux élèves d’approfondir les œuvres à leur rythme, en les délivrant di souci constant des concours.

Il faut les guider dans leur recherche musicale, leur permettre de résoudre leurs problèmes techniques, en comprenant les mécanismes musculaires et dynamiques nécessaires au jeu pianistique. Cela, afin de ne pas réussir ou rater sans comprendre, autrement dit, de passer de l’intuition à l’appréhension intellectuelle de l’œuvre et de sa communication.  

Je vais clore ce chapitre, par crainte de devenir intarissable comme tous les passionnés lorsqu’ils parlent de leur métier, par une phrase que j’emprunterai à Arthur Rubinstein. Dans ses mémoires, il évoque un professeur de sa jeunesse qui lui a laissé un souvenir ému: « Pour lui, la musique était joie pure – et il savait me faire partager cette joie. » Cette faculté est un préalable essentiel à toute pédagogie, et un bon début pour une tentative de définition de ce que doit être un pédagogue. Le plaisir musical partagé, ainsi que la joie de donner et d’apprendre, sont la récompense des efforts et de la patience du professeur et de l’élève. Cela peut remplir une vie.

Jean Fassina (1932-2019), Lettre à un jeune pianiste, Paris, Fayard, 2000, pp. 31-33.

Henri Matisse (1869-1954), La Leçon de Musique, 1917.

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