Un jour… Un chef-d’œuvre (198)

En hommage à tous ceux qui souffrent… tout simplement!

Francisco de Zurbaran (1598-1664), Agnus Dei 1635-1640.

Johann Sebastian Bach (1685-1750), Messe en si mineur BWV 232, Agnus Dei, interprété par Andreas Scholl et Collegium Vocale de Gand, dirigé par Philippe Herreweghe.

Il n’y a guère lieu de distinguer entre les termes « moutons », « brebis » et « agneaux », qui traduisent presque au hasard, en grec et en latin, les nombreux mots hébreux désignant le bétail ovin. De même, la présence d’un chevreau au lieu d’un agneau dans l’imagerie chrétienne primitive était sans doute non intentionnelle, le sacrifice de ces deux victimes étant tenu pour équivalent dans la Bible (Lévitique, III, 12-13).

L’agneau (en troupeau) est le symbole de l’homme en groupe, dont il s’agit d’assurer la survie : peuple de Dieu pour l’Ancien Testament, fidèles chrétiens après la prédication évangélique. La sollicitude du berger symbolise la tendresse de Dieu pour son peuple ou celle des « pasteurs » (d’âmes) pour leurs « ouailles ». Inversement, la docilité des agneaux est comparée à la rectitude du Juste (« suivre le droit chemin » est une expression pastorale). Lorsque Jean le Baptiste désigne Jésus comme l’« agneau de Dieu », il fait probablement allusion à la sainteté de sa vie. Néanmoins, la tradition unanime a interprété l’Ecce agnus Dei comme une annonce du sacrifice du Calvaire.

L’agneau égorgé est doublement symbolique : considéré en lui-même, il est l’image de l’innocence et de la douleur opprimées, du « Juste souffrant » ; considéré comme un bien appartenant à un maître, il est le symbole du rachat après la faute (redemptor signifie « racheteur »). Dans une société primitive, où la monnaie était quasi inexistante, la remise aux autorités d’une tête de bétail est une véritable amende « pécuniaire » (comme en témoigne le doublet latin pecu-dem, « le petit bétail », et pecu-niam, « la monnaie »).

L’égorgement et la consommation de la bête remise sont devenus de plus en plus rituels : une liturgie du sacrifice, essentiellement symbolique, a accompagné la perception de ces offrandes expiatoires. Elle a créé à son tour des symboles, notamment celui du sang de l’Agneau, qui, impropre à toute consommation, était utilisé dans des aspersions purificatrices.

C’est ainsi que doivent être comprises les prescriptions précises données à Moïse et à Aaron par Yahvé avant la sortie d’Égypte : « Procurez-vous chacun une tête de petit bétail par famille […] Vous la garderez jusqu’au quatorzième jour de ce mois ; alors l’assemblée entière de la communauté d’Israël l’égorgera entre les deux soirs. On prendra de son sang et on en mettra sur les deux montants et le linteau de la porte des maisons où on la mangera » (Ex., XII, 1-14). Le sacrifice de l’agneau donne ainsi tout son sens à la Pâque : le sacrifice rituel unit la communauté d’Israël, l’isole devant son Dieu et la soustrait à son châtiment. Le sang de l’agneau marque le salut d’Israël, et cela d’âge en âge ; il signale aussi le passage du Seigneur et la délivrance de son peuple obtenue par le massacre de tous les premiers-nés d’Égypte. C’est sur la base de ce symbolisme de l’agneau pascal que se développera la symbolique christologique du sacrifice de Jésus.

La chair de l’agneau (ou du chevreau), préparée comme un mets, évoque la joie des festins et la force vitale puisée dans la nourriture.

La représentation du Christ sous forme d’un agneau se justifiait scripturairement par le texte de Jean (I, 29) : Ecce agnus Dei. Elle a été très courante jusqu’au IXe siècle, mais elle a été interdite par le canon 82 du concile in Trullo de 692 ; il semble que les païens aient vu volontairement dans la dévotion à l’Agneau un culte animalier idolâtrique. Il semble également que le jeu de mots entre AGNUS et AS(i)NUS ait donné lieu à des plaisanteries. Le Christ, Agneau de Dieu, symbolise, dans l’iconographie chrétienne primitive, toutes les réalités évoquées par l’Écriture ; il est modèle d’obéissance et de douceur, victime, rédempteur, purificateur, aliment. On peut même, dans certains dessins des catacombes, retrouver l’image du Christ à la fois brebis et pasteur, sous la forme d’une brebis qui porte le sceau et la houlette. Le rôle de victime est signalé par la position couchée de l’agneau et par l’association du symbole de la croix. La brebis sans croix représente fréquemment l’Église, et assez souvent les apôtres.

Une autre source essentielle du symbolisme de l’Agneau est le texte dit de l’Agneau mystique, dans l’Apocalypse de saint Jean. Justifiées elles-mêmes par l’apostrophe du Baptiste, dont elles sont des développements littéraires (Jean, I, 29 : « Voici l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde »), les formules de l’Apocalypse ont fait naître une abondante iconographie : elles expliquent notamment la représentation de l’Agneau sur la montagne d’où s’échappent quatre ruisseaux purificateurs (Apoc., XIV, 1). Plutôt que des images symboliques, il y a là des illustrations et comme des rappels de passages scripturaires.

Jacques PONS, « AGNEAU SYMBOLISME DE L’ », Encyclopædia Universalis [en ligne],  https://www.universalis.fr/encyclopedie/symbolisme-de-l-agneau/