Dvorak le symphoniste

 

« La magie de l’art et de la pensée tchèques aux moments les plus féconds de l’histoire de ce pays provient de la rencontre de courants divers et quelquefois contradictoires » Roman Jakobson


 Antonin DvorakAntonin Dvorak


Le réveil des nationalités qui s’opère dans la seconde moitié du XIXème siècle est l’une des tendances essentielles du romantisme. Cette nouvelle sensibilité rénove un patrimoine culturel souvent enseveli sous les coups des invasions et des grands empires. La culture Tchèque étouffée par le germanisme ambiant ne demande qu’à révéler ses racines slaves et les richesses d’une langue ancrée dans d’authentiques traditions. Les musiciens sont parmi les premiers à intégrer les sources de leur culture à leur art. Qu’on pense seulement à Smetana, Dvorak, Fibich ou Janacek,… autant de personnalités incontournables dans l’art de penser la musique !


 bedrich-smetana[1]Bedrich Smetana


 

Les années 1883-1885 représentent un tournant essentiel de la vie d’Antonin Dvorak (1841-1904). Les premiers grands succès en Angleterre et en Allemagne lui donnent une assurance accrue. Tandis que les commandes affluent, une profonde lutte intérieure l’envahit. Doit-il quitter son pays natal et s’installer à Vienne, fleuron de la vie musicale en Europe ? Sous l’influence de son ami Johannes Brahms, il tourne la page de la période slave et vise désormais à l’universel. La septième symphonie en ré mineur en est le fruit immédiat.

 

Créé le 22 avril 1885 à Londres sous la direction du compositeur lui-même, l’ouvrage fut élaboré rapidement dans le sillage de la création de la troisième symphonie de Brahms. Le côté germanique  et l’allure tragique de la composition frappent d’emblée. Les réminiscences de Wagner semblent également évidentes. Dédiée au grand chef Hans von Bülow, la septième symphonie devint rapidement célèbre. Dvorak, ému de ce succès international apposa sa photo sur le manuscrit et nota « Gloire ! Tu as donné vie à cette œuvre ».


 Maison natale de Dvorak au nord de Prague

 Maison natale de Dvorak à 25 km au nord de Prague


L’œuvre comporte quatre mouvements d’une extraordinaire richesse. L’allegro maestoso initial, saisissant de gravité, nous plonge dans une atmosphère menaçante que les traits rampants des cordes graves soulignent avec force. Cette introduction canalise une formidable énergie qui se libère bientôt en un thème vif et poétique proche de Brahms. D’une grande richesse, ce mouvement alterne la combativité et le lyrisme. Après plusieurs sections traitées dans un style épique, l’austérité originelle referme le mouvement dans une désolation qui frôle le silence.

 

Page maîtresse de toute l’œuvre du compositeur, le Poco Adagio qui tient lieu de deuxième mouvement est un exemple de concision et d’efficacité. Le magnifique choral de bois qui ouvre la pièce témoigne de foi de l’homme. Les violons chantent alors une mélodie plus suave bientôt assombrie par une orchestration plus cuivrée et des harmonies proches du Wagner de Tristan et Isolde. Sous la force émotive de cette musique, le choral fait sa réapparition apaisée et presque pastorale.

 Le Scherzo-Vivace retrouve une sensibilité plus slave et les influences des danses tchèques se font sentir. Un rythme très marqué et une mélodie populaire sont les bases de ce mouvement essentiellement virtuose. Pourtant, un parfum de tragédie plane dans les brusques chutes des cordes dans le registre grave. La très expressive partie centrale nous montre les talents d’orchestrateur de Dvorak, réussissant un dialogue très poétique entre les instruments. 


Manuscrit de Cypres de Dvorak

Page du manuscrit d’un lied de Dvorak, Cyprès


L’ambiance s’assombrit de nouveau dans les premières notes de l’Allegro final. Pourtant, une grandiose marche parvient petit à petit à dissiper les nuages et à s’imposer. De nombreuses ambiances se succèdent. Tantôt proche des conquêtes de Beethoven, tantôt d’influence slave et même tzigane, la musique évolue vers la pleine lumière. Enfin, la marche conclut la symphonie dans un style héroïque et grandiose.

 

En cherchant une musique dépassant le cadre d’un pur nationalisme réducteur, Dvorak crée ici une œuvre profondément émotive. Il s’approprie le parcours initiatique qui débute dans les ténèbres pour atteindre au prix de nombreux efforts et péripéties, la plénitude héroïque des grands romantiques.