Cette semaine s’annonce comme l’une des plus chargée de toute la saison. Entre les trois conférences à Cambrai mardi, à Louvain La Neuve jeudi et à Wavre samedi, les cours habituels de l’U3A mercredi et vendredi, le concert de l’U3A mercredi et celui de l’OPL vendredi, il me faut encore trouver un peu de temps pour rencontrer les musiciens du concert commenté qui se déroulera le mercredi suivant au Petit Théâtre de Liège, et … travailler à la Fnac en fin de semaine. Heureusement, les sujets abordés, lors des conférences de cette semaine ne sont pas nouveaux, même s’ils sont tous différents, ce qui permet une simple révision plus qu’une préparation complète.
Mais ce n’est pas une raison pour ralentir le Blog. J’ai d’ailleurs constaté, ces derniers temps, une augmentation significative de sa fréquentation, j’en suis très heureux.
Mais j’avais envie aujourd’hui de vous parler un peu d’un artiste peintre dont, en cette période d’élections américaines, la force expressive devrait nous toucher au plus haut point, j’ai nommé Edward Hopper (1882-1967).
Edward Hopper, autoportrait, 1906
Peintre et graveur américain, Hopper exerça surtout son activité à New York où il se spécialise dans le naturalisme façon US ou la scène américaine. Témoin attentif des mutations de la société de son pays, son œuvre témoigne du désarroi d’un peuple face à l’univers des grandes villes et à l’individualisme de la civilisation occidentale. On sait que le mode de vie américain influence le nôtre et, qu’on le veuille ou non, les habitudes des terres d’outre Atlantique nous envahissent souvent aussi. On y trouve donc une matière à réflexion dépassant les clivages entre les cultures pour atteindre à une forme d’universalité.
Si ses premiers tableaux représentent des vues de Paris, c’est qu’il fit un long séjour en France au cours duquel il fut très influencé par les impressionnistes et les fauves. On sait également que la peinture baroque des Pays-Bas, surtout Vermeer et Rembrandt, va influencer son style et la sa recherche dans la vérité naturelle de ses toiles. De retour aux USA, il déclare : « Tout m’a paru atrocement cru et grossier à mon retour en Amérique. Il m’a fallu des années pour me remettre de l’Europe ». Et c’est bien ce que l’on observe dans ses toiles les plus réussies, à l’image de la « Fille à la machine à coudre » où l’influence lointaine de Vermeer se fait encore sentir en 1921.
S’il est un paysagiste exceptionnel, c’est néanmoins dans ses toiles représentant la société américaine que je le trouve le plus attachant. L’« american way of life » y est présent dans toute sa … tragédie. Elles témoignent du cadre de vie et de l’existence des classes moyennes (enjeu particulièrement important dans l’élection de Barack Obama et défi majeur pour l’avenir). La classe moyenne a en effet connu un essor sans précédent dans la première moitié du XXème siècle. On y voit l’accession aux technologies (automobiles, radio, trains …), l’émancipation progressive de la femme et, en conséquence, des rapports hommes femmes, mais aussi de la solitude, de l’aliénation et de la mélancolie. Restons quelques instants sur la « Chambre à New York », datant de 1932 et faisant suite à la grande dépression de 1929 qui a plongé le monde dans le scepticisme et le doute généré par la crise.
Ce qui frappe d’abord, c’est la manière dont notre regard pénètre à l’intérieur de la
chambre. Par une fenêtre ouverte, nous entrons dans l’intérieur simple mais manifestement confortable d’un couple. Nous ne participons pas à leur vie, nous les observons de l’extérieur. La masse noire et grise qui suggère l’architecture du bâtiment place une sorte de cadre à l’œuvre et nous tient en dehors de la scène. Mais de quelle scène s’agit-il ici ? On serait bien en peine de le dire, car il ne se passe rien. Deux personnages dont les traits ne sont pas personnalisés nous indiquent que ces deux là peuvent être tout le monde, nous y compris. Et là, on se rend compte que sous des vêtements à la mode témoignant d’une certaine aisance matérielle, les personnages appartiennent à cette fameuse classe moyenne évoquée plus haut. Les murs de la chambre sont décorés de tableaux, le mobilier est assez cossu et un piano droit trône contre le mur droit. Si la pièce est petite, c’est que les loyers sont chers dans les grandes villes et que ceux-ci ne sont pas de riches propriétaires !
Pourtant, il règne une profonde tristesse dans l’ambiance vespérale de cette fin de journée. Un homme, absorbé par la lecture de son journal, semble ne prêter aucune attention à sa compagne ou épouse assise avec nonchalance au piano. D’un doigt, elle effleure le clavier du piano qui semble murmurer une note sans âme. L’ennui, la lassitude et la tristesse parait guetter cette femme qui, un jour peut-être a joué du piano. Ne pas déranger les voisins ? Ne pas gêner la lecture du journal, frontière des âmes ? Ou tout simplement pas le cœur à en jouer ?
Le couple est séparé par la porte, envahissante, qui délimite l’espace de la toile et montre la distance entre les deux êtres. Cette porte qui est celle d’entrée et de sortie distille alors toute son ambivalence. Dans le silence, chaque personnage vit une profonde solitude accentuée par la proximité paradoxale des corps. Ils sont si proches l’un de l’autre, mais si loin aussi. Tout cela crée un climat lourd et pesant. La séparation des âmes a déjà eu lieu. Suivra sans doute bientôt celle des corps. Ils n’ont rien à se dire et c’est bien là le tragique de l’« american way of life ».
Hopper déclarait face à ce tableau quelques éléments confirmant cette lecture : « il ne s’agit pas d’une maison en particulier, mais plutôt de la synthèse d’impression multiples ». Confirmant, au-delà de l’anecdote non narrative de la toile, sa critique de la société dans sa globalité, le peintre vise à représenter une quotidienneté immobile, dénuée d’intimité. Il souligne l’écart entre l’homme et la femme qui laissent passer le temps comme s’ils étaient dans deux pièces séparées. Les personnalités effacées représentent l’un des mécanismes les plus tragiques de l’uniformisation des êtres humains dans les grandes métropoles.
Il veut aussi nous dire que le rêve américain passe à côté de l’essentiel, de la communication, du partage des idées, du débat sain et salvateur, de la complicité et surtout de l’amour. A force vouloir à tout prix créer un monde uniforme et aisé (de nombreuses utopies littéraires ou cinématographiques ont traité de ce sujet), on en oublie tous les fondements archétypaux de l’individu. La toile de genre de Hopper dénonce tout cela et provoque chez le spectateur une tristesse sans fin, un vide infini qui nous fait pleurer et montre ce que nous devrions éviter absolument. On en vient à penser qu’une telle société est le meilleur moyen de détruire la race humaine.