sublime organe!

Peu de temps aujourd’hui pour un texte nouveau. Je vous propose donc de relire un article consacré à la virtuosité qui entre bien dans le cadre du cours donné aujourd’hui à l’U3A et consacré au bel canto italien.

La voix humaine est un instrument unique ! Elle nous sert à communiquer et à entretenir les relations humaines indispensables à notre vie sociale, elle est aussi un fabuleux instrument de musique. 

Il semblerait même qu’avant de communiquer par un langage articulé, l’homme se soit aperçu des possibilités vocales chantées de son organisme. Entendons-nous, je ne parle pas encore d’art du chant, mais de cette manière d’infléchir la voix pour lui donner des intonations expressives. Le véritable chant viendra bien plus tard.

Organe de la voix

 


Pourtant, lorsqu’il surgit, il est manifestement accompagné d’une secrète sensation vibratoire qui sera amplifiée et utilisée comme un outil de communication religieux ou rituel d’abord, artistique ensuite par un effet de conjonction. En effet, tant qu’à prier ou célébrer, autant le faire esthétiquement. 

Cette sensation du chant rempli l’organisme d’une sensation toute particulière. Le son, une vibration, semble descendre dans l’organisme entier et procurer une émotion magique. Le cultiver, c’est le travail premier des chanteurs. Plus il est subtil et varié, plus il s’approche d’une sensation narcissique de l’écoute de ses propres sons. La virtuosité vocale n’est pas loin. Si le chant religieux des cultures du monde entier possède cette fonction contemplative, la naissance de l’opéra a développé une autre facette. Il s’agissait dès lors de rendre avec le chant un texte théâtral expressif et varié. Les sentiments divers se côtoient en effet dans l’opéra. Il suffit de réécouter l’Orfeo de Monteverdi pour s’en rendre compte. Orphée, musicien s’il en est, passe d’un style à l’autre avec une aisance remarquable. Il s’agit donc pour le chanteur de posséder une palette très variée allant de la douleur de la mort à la séduction des bêtes féroces par son seul organe vocal. 

L’expression du texte prend parfois le dessus et, dans ce cas, le style est presque parlé (recitativo). A d’autres moments, la séduction devient telle que le livret passe au second plan et que la voix, dans ses mélismes et ornements surpasse n’importe quel vers ou prose. Ainsi, la virtuosité s’insinue, ce chant n’est plus accessible qu’aux virtuoses ! 

Le développement du Bel Canto est un merveilleux exemple de cette vocalité virtuose. Naissant au XVIIème siècle comme une simple ornementation d’une ligne vocale, il devient vite une fin en soi. Servant à exprimer la rage, l’amour, la colère ou la peur, l’ornement (la Colorature) se répand dans l’art  des castrats. Ecoutez les airs de Vivaldi ou Haendel, c’est tout simplement extraordinairement acrobatique. Ces vedettes baroques ont cultivé un tel narcissisme vocal que leur plaisir à repousser les limites de l’organe humain que les compositeurs ne peuvent plus écrire toutes ces fioritures extravagantes.

 

 Le castrat FarinelliFarinelle, le castrat

 

On retrouve le même principe dans le jeu des instruments de musique. Il est d’ailleurs garant de l’évolution de la musique. Les virtuoses demandent toujours plus, les facteurs d’instruments adaptent leurs recherches et les instruments gagnent en possibilités sonores. A leur tour, les compositeurs écrivent des musiques exploitant les nouveaux instruments qui sont immédiatement travaillés au fond de leurs possibilités. Cette spirale nous conduit irrémédiablement à la virtuosité pure comme celle de la vogue des grands solistes (Paganini, Liszt, …) qui repoussent toujours les limites techniques et prennent un vrai plaisir à les transcender.

 

 paganiniPaganini

 

La voix humaine n’est pas en reste. Ecoutez la virtuosité des arias de Rossini et de l’âge d’or du Bel Canto. Chaque syllabe est enrobée de traits ornementaux diaboliques. Nous sommes pris de vertige à l’écoute de ce chant « impossible ». 

Si la virtuosité change d&r
squo;aspect dans la seconde moitié du romantisme, elle garde toujours ce même attrait. Les airs de Verdi ou de Puccini ne sont pas plus faciles à chanter. Ils sont différents. Plus axés sur une réalité scénique proche de celle de l’existence quotidienne, le chant redevient l’essence du drame. Son compagnon de toujours, l’orchestre, est désormais plus signifiant. Il véhicule lui aussi un contenu essentiel, important à la bonne sensation de l’intrigue et de sa philosophie par l’auditeur. Chanteurs et musiciens sont de vrais personnages qui, sur la scène, montrent une métaphore, un miroir de la vie.

Anna Netrebko

Anna Netrebko dans le rôle de Violetta (Traviata)

 

 

Même si les conventions de l’opéra ont la vie dure (combien d’héroïnes meurent de phtisie dans un contre ut somptueux !) mais qu’elles permettent une symbolisation bien utile pour permettre, en quelques heures, de représenter une tragédie plus étalée dans le temps, la virtuosité vit désormais  à travers l’émotion des personnages. Point extrême du refus d’une virtuosité à l’ancienne, le vérisme cherchera même parfois à enlaidir la voix pour la rendre plus misérable à l’image des personnages mis en scène. N’est-ce pas là aussi une terrible virtuosité que d’y parvenir ?