A l’heure de donner une conférence à Wavre sur le premier concerto de Dmitri Chostakovitch, je me souviens avec émotion de ce musicien soviétique, Alexei Michlin qui avait remporté le Concours Reine Elisabeth en 1963.
Non, je n’étais pas né à l’époque, mais les documents d’archives ont parfois montré cette exceptionnelle prestation, unique en son genre. Le violoniste était l’élève de David Oistrakh (qui faisait partie de jury, on le voit sur la vidéo ci-dessous) lui-même dédicataire de ce concerto d’une tristesse terrible. L’oeuvre, composée entre 1947 et 48 est restée plusieurs années dans les tiroirs du compositeur. La politique culturelle du régime menée de main de fer par Staline lui-même par l’intermédiaire de Jdanov (de triste mémoire) interdisait les oeuvres graves, tragiques et critiques face aux conditions de vie imposées par le tyran.
Chostakovitch, qui avait déjà été malmené et forcé de faire son « mea culpa » en public craignait vraiment pour sa vie si sa musique jetait aux oreilles de tous la tragédie et la terreur de l’oppression. Ce ne fut que lorsque Staline eut disparu du monde en 1953 que le compositeur se décide à faire jouer l’oeuvre par son dédicataire. Le monde découvrait alors l’une des oeuvres les plus noires, les plus sarcastiques et désolées du maître. Toute la douleur, la solitude et l’absence d’avenir du peuple russe passent par les notes, les chants et les rythmes de ce concerto.
En 1963, à l’époque de la guerre froide, le jeune violoniste donna une interprétation d’une intensité telle que, dans la salle, les gens pleuraient, recevaient le message en provenance de l’Union Soviétique avec une telle force que, malgré quelques « ratés » techniques, mais avec une sonorité incroyable, le premier prix ne pouvait que lui être décerné. La vérité qu’il venait de livrer à l’étranger lui coûta très cher. Après son retour au pays, plus personne n’entendit parler de lui…le rideau tomba sur sa vie et les promesses musicales et expressives du jeune homme. Il avait rempli la mission: gagner le concours, mais la manière extrêmement douloureuse et tragique n’était pas du goût des autorités. Ecoutez ces quelques notes tirées de la terrible passacaille du concerto et vous comprendrez pourquoi on ne peut que regretter son absence dans la discographie et les salles de concert. Il avait quelque chose à transmettre.
Tous les musiciens qui, aujourd’hui, abordent cette oeuvre devraient apprendre la souffrance et la manière de la transmettre. Il n’est bien sur pas nécéssaire de vivre ce que ces gens ont vécu, mais il est indispensable qu’on cesse d’édulcorer cette musique. Elle est porteuse d’un message de dénonciation des injustices et tyrannies. Dans le monde actuel et ses guerres absurdes, il serait plus que temps que les hommes se servent de ce genre de témoignage pour que de telles situations ne se reproduisent plus.
S’il y a parmi les lecteurs de ce blog quelqu’un qui possède des information sur le destin d’Alexei Michlin, j’aimerais les connaitre. Je me demande vraiment ce qu’il est devenu.