Kokoschka et les musiciens

 

 

Dans son autobiographie publiée en 1971, Oskar Kokoschka (1886-1980) déclare avoir entretenu une relation plus directe avec les musiciens qu’avec les peintres et les écrivains. Les nombreux portraits de musiciens qui figurent dans le corpus de son œuvre en témoignent en effet.


 

Kokoschka, Autoportrait

Autoportrait


 

Cette série débute par un dessin de la célèbre danseuse de cabaret française, Yvette Guilbert que le peintre avait rencontré à Berlin en 1910. Mais dès ses premières œuvres, il affectionnait les personnages qui jouaient de la musique. En 1907, alors qu’il étudiait encore à l’Ecole des arts appliqués de Vienne et que parmi ses professeurs se trouvait un certain Gustav Klimt (il avait présenté le concours d’entrée en même temps qu’Adolf Hitler qui, lui, n’avait pas été reçu. S’il l’avait été, la face du monde serait sans doute différente, lire à ce sujet l’uchronie de E.-E. Schmitt, La part de l’autre), il réalisa une carte postale représentant un joueur de flûte dont les sons attirent tout un cortège de chauves-souris. Très proche du style de la Sécession viennoise, cette image est destinée à l’ouverture du cabaret Fledermaus (Chauve-souris). La figure burlesque du musicien renvoie sans doute à une représentation de la pantomime « La danseuse et la marionnette) que l’artiste avait pu voir un peu plus tôt à Vienne.


 

Kokoschka, Joueur de flûte et chauves-souris


 

Mais dès sa jeunesse à Vienne et jusqu’à sa mort, le peintre fréquentait les musiciens les plus connus. Arnold Schoenberg, Alexander von Zemlinsky, Anton Webern, Alban Berg, Michael Tippett étaient ses amis. Les interprètes tout aussi prestigieux comme Wilhem Furtwängler, Georg Solti ou Otto Klemperer faisaient partie de son quotidien ainsi que les grands solistes, Wilhem Kempff, Sviatoslav Richter, Yehudi Menuhin ou Pablo Casals.


 

Kokoschka, S. Richter

Sviatoslav Richter


Kokoschka, P. Casals

Pablo Casals


 

Très versé dans la musique d’avant-garde, il écrivait à propos de Schoenberg : « Les scandales que provoquèrent alors à Vienne ses concerts organisés par Loos me sont incompréhensibles, son système reposant sur douze tons n’est pas si différent de la musique des Hindous et des Chinois ; la musique grecque repose sur un système à cinq tons. Jean-Sébastien Bach n’a-t-il pas indiqué clairement dans son Clavecin bien tempéré (sic) sur une base tonale que les demi-tons deviendraient évidents, tels qu’on les entendit de manière si frappante dans Tristan ? C’est ce que l’on m’a dit, car je suis un profane ».


 

Kokoschka, le pouvoir de la musique

Le Pouvoir de la musique


 

Son origine autrichienne le liait profondément à la grande tradition viennoise qu’il voyait perpétuée dans les œuvres de Schoenberg. Il n’hésitait pas à le comparer à Schubert et Beethoven. Mais l’événement que Kokoschka garda en mémoire jusqu’à sa mort fut la représentation de Tristan et Isolde sous la baguette de Gustav Mahler. Le récit qu’il en fait encore au soir de sa vie est touchant de sincérité et on rêverait aussi d’y avoir assisté : « La tension qui régnait da        ns l’opéra au moment où Mahler entra dans la fosse d’orchestre est inoubliable. Soudain, ce n’est pas un homme qui entre, mais une lumi&e
grave;re prompte et vive qui sillonne l’obscurité, l’éclat de ses lunettes, l’éclair a traversé tel la foudre. Brève apparition lumineuse, suivie d’un tonnerre d’applaudissements. C’était la musique la plus grandiose que j’ai jamais entendue ». A partir de 1912, il entretient une liaison amoureuse avec Alma Mahler (… le grand homme était mort en 1911 …).


 

Kokoschka, Y. Guilbert

Yvette Guilbert


 

Toutes ces amitiés en font un témoin particulièrement fertile pour l’histoire de la musique et de l’art à Vienne au XXème siècle. Sa longévité lui permit de traverser les époques et les profonds bouleversements. Son idéal humaniste et son combat politique le fit rencontrer le compositeur anglais Michael Tippett dont il voulait faire jouer son oratorio « A Child of our Time » (1939-1941), sorte de réplique du compositeur à la terrible Nuit de cristal en Allemagne. Chantre de la liberté et de la démocratie, ses choix musicaux sont orientés vers cet aspect de l’art. Son œuvre picturale en est particulièrement imprégnée.