L’histoire de la musique du XXème siècle met, depuis plus d’un demi-siècle, l’accent sur le modernisme et la notion de progrès. Il est vrai qu’à l’image de l’évolution ultra rapide de la société, les arts ont subi de profondes mutations tant au niveau des techniques de réalisation que de la pensée esthétique. Les historiens, les musicologues et les critiques, obnubilés par cette notion de nouveauté ont parfois (souvent) occulté des compositeurs qui n’entraient pas dans les critères de la nouveauté.
Je me souviens encore de certains cours du conservatoire qui limitaient l’étude des compositeurs à ceux qui avaient, d’une manière ou d’une autre, participé à la musique sérielle. Le professeur jugeait d’ailleurs que seuls ceux-là étaient dignes de s’appeler compositeurs (à grands renforts de catégories esthétiques comme post-sériels, post-modernistes, …). Il y avait un veto total pour tout ce qui touchait à une forme de « romantisme égaré »(je cite) et de musique tonale après 1910. Des pans entiers de la musique étaient ainsi niés au point que Chostakovitch, Sibelius, Vaughan Williams ou Rachmaninov n’avaient pas leur place dans la notion de musique du XXème siècle et dans certains ouvrages qui y étaient consacrés.
Si les choses ont bien changé aujourd’hui, il n’en reste pas moins que certains « oubliés » figurent encore sur la liste noire des musicologues et des musiciens. Je pense, entre autres, à Samuel Barber (1910-1981) que la majorité des mélomanes ne connait que par l’Adagio pour cordes (1938) ayant servi comme musique de film à la fin d’Elephant Man et dans Platoon. Même si quelques œuvres sortent parfois des tiroirs, comme le Concerto pour violon (1939) ou l’un ou l’autre Essay pour orchestre (entendu la saison dernière à l’OPL), Samuel Barber est largement inconnu à notre époque (voir le site : http://www.samuelbarber.fr/biographie.html).
Samuel Barber
Poussé par la curiosité, j’ai écouté, dans la mesure de la discographie disponible (Naxos a publié pas mal de choses dans sa collection américaine), de nombreuses œuvres de notre américain. Et bien je dois dire que cette musique mériterait une plus large audience. Ce qui m’a surtout frappé, c’est la sincérité du lyrisme. C’est vrai que Barber n’est pas un « avant-gardiste ». Mais cela importe peu. Ce qui touche, c’est la vérité d’un message, pas sa modernité. Il a toujours cherché à exprimer sa véritable émotion et son vocabulaire est celui de la fin du romantisme. Mais il le maîtrise avec une telle force que l’émotion est là, forte, qui vous prend à la gorge, qui ne vous quitte plus. Vraiment, une expérience musicale fantastique.
Qu’on écoute sa Ballade pour piano de 1977 et on y découvre un homme en plein désarroi, une musique parfois percussive rongée par le silence progressif, à l’image ce cancer qui le minait et finira par le réduire au silence. Qu’on veuille bien reprendre le fameux Adagio qui trouve son origine dans un quatuor à cordes et que Toscanini avait tant aimé qu’il avait demandé au compositeur d’en faire une version pour orchestre à cordes. Qu’on écoute le concerto pour violon ou pour violoncelle, si sensibles, si lyriques et si bien écrits. … Et ses superbes mélodies qui vont droit au cœur du texte, sans faire de détours inutiles. Bref, je vous en dirais encore bien davantage…
Mais ce qui me frappe le plus dans cette in
justice inexplicable, c’est cette manière que nous avons de bouder certaines formes d’art qui correspondent pourtant à notre émotion de tous les jours. Ne vous méprenez pas sur mes intentions. Je suis toujours curieux de la musique d’aujourd’hui et trouve chez de nombreux compositeurs actuels de vraies sources d’émotions musicales, mais force est de constater que bon nombre d’œuvres se sont écartées de leur but premier : toucher l’auditeur. Qui, aujourd’hui peut affirmer, sans rire, qu’il écoute tous les jours Stockhausen, par exemple ? On a vu des artistes qui se faisaient plus mathématiciens que musiciens et dont les œuvres sont bien datées cinquante ans plus tard, démodées même). Le public ne comprend pas toujours le propos de tel ou tel compositeur encensé par la critique, mais, puisque des spécialistes crient au génie, ils doivent avoir raison. Comme je dis souvent dans ces cas là, l’histoire fera le tri.
Mais que ces propos ne vous incitent pas à devenir rétrograde ou à refuser les œuvres les plus pointues. Elles montrent aussi la complexité de notre monde et sont le reflet de notre époque. Les œuvres qui resteront seront celles qui ont vraiment quelque chose à dire. Mais nous devons aller vers elles et tenter d’en comprendre l’essence. Quand Beethoven composait ses derniers quatuors à cordes jugés aujourd’hui comme un sommet de la musique occidentale, ses contemporains croyaient qu’il était devenu fou. C’est là, bien sur, que nos institutions jouent un rôle crucial. Elles ont non seulement la mission de nous faire partager l’art d’aujourd’hui, mais aussi de nous faire entrer dans la pensée de l’artiste. La pédagogie est donc essentielle et doit réfuter l’élitisme encore trop souvent entretenu dans ce domaine. Et tout ceci doit avoir comme but ultime la compréhension des œuvres qui nous sont contemporaines.
Pour certaines personnes, il est de bon ton de croire que cette musique s’adresse à une « élite » (surtout pour vous faire sentir que vous n’y connaissez rien !). C’est faux, absolument faux ! A liège (et pas seulement !), on l’a bien compris en programmant des œuvres contemporaines en présence des compositeurs qui peuvent dialoguer avec le public. Il faut généraliser cette manière de faire car l’art appartient à tout le monde.
Jean-Pierre Rousseau le signalait il y a quelques jours sur son Blog, la culture est ce qui nous permet d’avoir une identité, de tisser des relations entre les hommes. C’est d’autant plus vrai dans des situations de profonde crise, quand les hommes perdent leurs repères habituels (remarquez que je ne dis pas traditionnels, la tradition, c’est encore la culture).
Mais ce n’est pas une raison pour négliger ou bouder ce qui n’entre pas dans le cadre du modernisme, ce que chacun peut sentir sans longues explications, spontanément. Car la musique de Samuel Barber et de bien d’autres, est une musique aussi valable que n’importe laquelle. Elle a juste gardé un langage familier, mais elle distille tout autant les joies que les peines, les émotions variées et fortes, en bref elle nous parle … Alors profitons-en !
Bonjour et merci de me lire… Et de faire aussi : http://www.wat.tv/musidvd là, vous aurez 36 extraits de films documentaires musicaux. Je suis le compositeur des musiques (souvent sérielles).
Ces DVD durent entre 30 et 50 mn. et « parlent » du monde entier, dont Chine, Inde, Amériques etc.
Faire également : http://www.mobbee/chine et vous aurez 6 films intégraux, tous très beaux.
Cherchons diffusion, bien sûr et vous pouvez me joindre ! Merci d’avance et cordialement à vous.
Lucien Darras
Samuel Barber a fait lui-même, en 1967, l’arrangement de son Adagio pour un choeur à huit voix.
J’avoue éprouver et non pas « éprouvé »…
Merci pour votre commentaire enthousiaste sur Barber. Vous prêchez à un convaincu car pour ma part, je suis complètement rétrograde et je l’assume. J’avoue éprouvé un plaisir non dissimulé quand j’écoute par exemple Malcolm Arnold, Aaron Coopland et autres Elgar, Malipiero ou encore Villa Lobos. Des compositeurs pas du tout « politiquement sériels » ;-). A propos de Liège, pourquoi nommer ce festival de musique contemporaine d’un nom latin (ars musica) prétentieux et hautain à une époque où il est de bon ton de condamner le pape pour son retour à la messe en latin. Amen 😉