Un peu de répit dans le train des conférences me laisse du temps pour étudier de nouvelles œuvres en prévision des prochaines semaines. C’est dans ce cadre, mais je vous en reparlerai plus en détail dans les prochains jours, que je me suis mis à l’étude de la gigantesque deuxième symphonie (Lobgesang, Chant de louange) de Félix Mendelssohn dont on fête cette année le bicentenaire de la naissance.
Gigantesque, le mot n’est pas trop fort, pour une œuvre souvent qualifiée d’hétérogène et peu convaincante. Mendelssohn n’avait que dix-sept ans lorsqu’il écrivit, en 1826, le fameux « Songe d’une nuit d’été », l’un des grands témoignages du romantisme musical. En 1829, il fit ré exécuter la Passion selon Saint Matthieu de Bach qui dormait depuis un siècle. Il donnait, de la sorte, une véritable impulsion à l’historicisme musical et à la redécouverte du Cantor de Leipzig. Ces deux aspects de la personnalité de Mendelssohn furent déterminants dans sa brève mais riche carrière musicale. Il fut, de fait, un personnage toujours à la pointe de la pensée de son siècle tout en mesurant l’importance du passé et des grands modèles historiques.
C’est justement cet esprit de synthèse qui semble poser de nombreux problèmes aux musicologues et condamnent le compositeur à figurer trop souvent parmi les artistes de « seconde zone ». Et pourtant, il ne l’est certes pas. Depuis quelques temps, je fréquente un peu plus ce musicien que je considérais moi-même avec injustice. Ma surprise est venue d’abord avec la cinquième symphonie tant décriée (par Mendelssohn lui-même) et considérés comme un des plus grands ratés de l’histoire de la musique. Je devais présenter l’œuvre lors d’un concert commenté à l’OPL et j’ai découvert là un maillon essentiel du romantisme. Depuis, je n’ai plus cessé d’explorer la musique de chambre (trios et quatuors), la musique de piano (surtout les préludes et fugues), les oratorios (Paulus et Elias) ainsi que la musique religieuse (Psaume 42, Lauda Sion) et les symphonies (Ecossaise, Italienne et maintenant Lobgesang).
La deuxième symphonie fut donc composée en 1840 pour le quatrième centenaire de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg. On célébrait à Leipzig, avec une grande solennité, cette invention qui allait permettre de diffuser les ouvrages religieux et littéraires au plus grand nombre. La ville où Mendelssohn officiait, il avait amené le fameux orchestre de Gewandhaus à une grande réputation, était aussi la capitale allemande de l’édition. Pas surprenant que de grandes festivités y furent organisées pour la circonstance. L’œuvre fut jouée à l’église Saint Thomas de Leipzig (où se trouve la tombe de Bach) et fait partie des œuvres les plus longues et ambitieuses du compositeur. Bien que la symphonie était sa quatrième, il la publia sur le numéro deux car il estimait que l’ « Italienne » et l’ « Ecossaise » devaient encore être révisées et que la « Réformation » était un échec sans espoir de publication.
Le tout est de savoir si le « Chant de louange » (Lobgesang) est une véritable symphonie. Elle allie en effet des éléments venus en droite ligne des techniques symphoniques et de celles de l’oratorio. Mendelssohn parlera lui-même de « Symphonie-Cantate », terme sans doute plus approprié. Si le modèle de la Neuvième de Beethoven semble évident, avec ses trois mouvements orchestraux et un final très développé faisant intervenir chœurs, solistes et orchestre, la comparaison s’arrête là. Le gigantesque final de Mendelssohn est un véritable oratorio autonome dont le thème premier est à chercher dans l’introduction du premier mouvement, un thème s’inspirant du Magnificat et prenant l’allure d’un motif cyclique. On ne peut nier cependant une vraie rupture entre les mouvements orchestraux et le final. C’est ce manque d’unité qu’on lui a souvent reproché. Le texte du final est originaire de la Bible de Luther et constitue des louanges parfaitement triées par Mendelssohn. On y entend tour à tour des formes polyphoniques très développées issues du canon et de la fugue ; mais aussi des solos très mélodiques et des chorals luthériens d’une grande intériorité. Certains ont voulu donner à Mendelssohn l’aspect d’un opportuniste religieux. A mon avis, il n. A mon avis, il n&
rsquo;en est rien. Il avait été baigné de pensée œcuménique depuis sa plus tendre enfance et était lui-même un sincère croyant. En ce sens, l’œuvre est avant tout très émouvante et pleine de ferveur. Pour lui, le propos est simple. Il s’agit de reconnaître l’action de Dieu dans les inventions humaines. La citation que le compositeur place en tête de sa partition est empruntée à Luther et reprise à son propre compte : « Je voudrais voir tous les arts, et spécialement la musique, au service de celui qui les a donnés et créés ».
Le début de l’œuvre expose au trombone le fameux thème du Magnificat grégorien qui crée des relations complexes sur le plan de la composition et du contenu. Il se présente à plusieurs reprises tout au long de l’œuvre. Cette grande forme sonate développe un parcours qui oscille entre le solennel choral et une fougue proche du « Sturm und Drang » des romantiques. Ce grand thème fait penser au thème initial de la neuvième de Schubert (la Grande) que Mendelssohn avait aussi fait rejouer. Si ce thème générateur est neutre au départ dans sa forme orchestrale, il prend tout son sens avec l’entrée du chœur sur les mots : « Que tout ce qui respire loue le Seigneur ».
Le deuxième mouvement (Allegretto un poco agitato) est une vraie romance sans parole à l’esprit si romantique. S’y intercale le choral dans une forme plus souple. Le grand Adagio religioso qui fait office de troisième mouvement déclame ses mélodies avec un recueillement profond et sublime.
Le final utilise surtout le style d’église, mais montre comment Mendelssohn maîtrise merveilleusement la rhétorique héritée de Bach. Entre les grands ensembles où résonne le thème initial dans d’étourdissantes fugues, les solos sont remarquables, à l’image de cet air de ténor qui implore la avec une émotion très forte Dieu de dissiper les ténèbres. On peut même y déceler un motif qui pourrait être à l’origine du thème initial de la Deuxième de Mahler … !
Bref, une œuvre à découvrir absolument, et peut-être par deux versions radicalement différentes. La première est celle de Claudio Abbado à la tête du London Symphony Orchestra (DGG) dont la finesse et le juste ton sont exemplaires. Qualité des chanteurs et transparence du chœur, orchestre impeccable, une version idéale pour une première approche.
La seconde est celle plus tragique et emportée de Karajan avec l’Orchestre de Berlin intégrée à l’intégrale des symphonies de Mendelssohn. Superbe dans son élan romantique, elle s’impose donc comme une incontournable (toute l’intégrale est d’ailleurs superbe, d’un niveau inégalé, a mon avis). Bonne découverte…
Dans ma partition (Eulenburg grand format avec orchestre), le mouvement instrumental Adagio religioso s’y trouve bien et lorsque je cherche des informations concernant ce mouvement, il semble être intégré depuis le début à la composition de l’oeuvre. J’ai cru comprendre que certaines éditions (Novello) omettent ce mouvement et que les partitions destinées aux choristes ne le présentent pas (par souci d’économie) puisque les choeurs n’y interviennent pas. Certaines éditions en proposent une version pour piano de la main de Mendelssohn lui-même. Je crois donc qu’Abbado joue la partition de la symphonie sans ajout ni coupures. Vous possédez peut-être une version pour choriste de la partition et c’est sans doute pour cela que ce superbe Adagio ne s’y trouve pas. Merci de l’intérêt que vous portez à mon blog.
Bonjour !Dans l’interprétation d’Abbado de la 2ème symphonie de Mendelssohn,entre les n°1 et 2,
est intercalé unpassage orchestral ne figurant pas dans la partition.D’où vient ce rajout ?
Merci !
Bonsoir,
Arrivé sur votre blog en cherchant des indications discographiques sur le Stabat mater de Poulenc, je tiens à saluer le travail que vous menez pour faire partager votre goût pour la musique.
Je me permets d’ajouter une 3e version, hélas très difficile à trouver, à vos conseils d’écoute sur le Lobgesang de Mendelssohn : celle de Spering chez Opus 111, dont la lisibilité et la ferveur rendent, à mon sens, pleinement justice à une œuvre dont la mauvaise fortune critique doit sans doute beaucoup aux empâtements dont l’a surchargé une certaine « tradition » romantique.
Cordialement.