Sonate séduction

Parmi les oeuvres qui seront au programme du concert de la violoniste Theodora Geraerts et du pianiste Peter Petrov à la Salle Académique de l’Université de Liège ce 17 avril à 20H, figure la première grande pièce de musique de chambre de Gabriel Fauré (1845-1924), la sonate opus 13 en la majeur.


 

Fauré Gabriel


L’œuvre fut composée durant l’été de 1875, pendant le séjour du compositeur français chez des amis en Normandie. Elle reçut un véritable succès lors de sa création à la Salle Pleyel et Camille Saint-Saëns, son professeur écrira ce commentaire élogieux dans l’édition du Journal de Musique du 7 avril 1877 : « On trouve dans cette sonate tout ce qui peut séduire, la nouveauté des formes, la recherche des modulations, des sonorités curieuses, l’emploi des rythmes les plus imprévus ; sur tout cela plane un charme qui enveloppe l’œuvre entière et fait accepter à la foule des auditeurs ordinaires comme choses toutes naturelles, les hardiesses les plus imprévues … M. Fauré s’est placé d’un bond au niveau des maîtres ». Quels compliments de la part d’un homme qu’on qualifie souvent comme froid et austère… ! 

Il faut souligner que Saint-Saëns avait été à l’origine de la découverte par Fauré de la musique de Schumann et de Liszt, influences très sensibles dans la conduite de cette œuvre. Mais les compliments sont justifiés. La sonate rayonne à la fois de cette modernité du langage de Fauré et d’un tribut au patrimoine allemand (Fauré était grand connaisseur de la musique de Bach et pratiquait Beethoven depuis bien longtemps déjà). 

Il semblerait que cette joie toute printanière soit en liaison avec les fiançailles du compositeur avec Marianne Viardot (qui rompra en 1877). La sonate est dédiée au violoniste et frère de la jeune fille Paul Viardot. Composée presque une décennie avant la sonate de Franck, dans le même ton, les deux œuvres ont souvent été comparées. Pour ma part, je n’y vois pas de grande similitude et considère que le style de Fauré est radicalement différent de celui de Franck, plus tragique par essence même si on peut déceler ci et là des procédés cycliques que le Pater Seraphicus employait depuis longtemps déjà. 

La pièce est en quatre mouvements qui respectent les procédés de la traditionnelle sonate. L’Allegro molto initial est très lyrique et déroule ses thèmes au violon après une introduction pianistique. La musique y est chaleureuse et on discerne, malgré les couleurs schumaniennes évidentes, les caractéristiques de la musique ultérieure de Fauré. Le besoin incessant de jongler avec les couleurs harmoniques (en jouant sur le procédé de l’enharmonie) et de déployer de longues mélodies très riches. On peut même à de nombreuses reprises considérer le jeu des timbres du piano comme une écriture orchestrale déguisée.


 

Fauré, Sonate op 13, début


 

L’Andante en ré mineur qui suit utilise encore les procédés de la forme sonate en déployant deux thèmes. Le premier, d’une ineffable tristesse, presque pathétique, avec son accompagnement dissonant au piano (arpèges de septième diminuée) laisse bientôt la place à un balancement calme, presque une berceuse ou une barcarolle tendre qui évolue lentement vers le registre aigu du violon et se passionne de plus en plus. Toute la partie centrale est agitée et tragique. Le retour des thèmes entame une évolution vers la lumière du ré majeur conquis avant qu’une conclusion contemplative achève le morceau dans l’apaisement sublime.


 

Fauré, Sonate op 13, Andante (2)
 


Le Scherzo Allegro vivo qui suit est un dialogue entre le violon et le piano qui se renvoient un motif virtuose qui ne quitte jamais la lumière. La partie centrale (trio) évoque à nouveau Schumann. La sonate se termine par un Allegro quasi Presto qui révèle d’emblée les couleurs si chères à Fauré et à la musique française. Petit à petit, les deux instruments s’entraînent mutuellement vers un climax passionnel qui ne quittera plus le final, jubilation quasi orchestrale.


 

Fauré, Sonate op 13, Allegro vivo (3)
 


La sonate de Fauré, entre romantisme et prémisses de l’impressionnisme musical (s’il existe ! http://jmomusique.skynetblogs.be/post/6278842/la-mer-de-debussy# ) fait partie du répertoire de tous les violonistes. Pourtant, elle est beaucoup moins présente dans la discographie, dans les concerts et dans les concours que celles de Franck, Debussy ou Ravel. Fauré pâtit, encore aujourd’hui, d’une étiquette de coloriste qui l’éloigne des grands noms. En voilà une nouvelle erreur ! Il y a autant de chant que d’harmonie dans cette musique, autant, comme le soulignait justement Saint-Saëns, de jeux rythmiques qu’harmoniques ou mélodiques. Il serait temps de réhabiliter les deux sonates du maître (la seconde date de 1916-17) et de les proposer au disque dans des versions plus récentes et de qualité. La version qu’Arthur Grumiaux a enregistrée pour PHILIPS en 1977 avec le pianiste Paul Crossley est tout simplement aristocratique. Elle déploie toutes les couleurs du violon belge et une force émotionnelle peu commune. Elle reste, encore aujourd’hui, il me semble, au sommet de la discographie.


 

Fauré, Sonate op13, Grumiaux


 

Et si vous pouvez vous procurer la version de Gil Shaham et de Akira Eguchi, un cd disparu des bacs des disquaires depuis quelques années, mais encore disponible sur Internet ( The Fauré Album, Vanguard Classics 2003), vous pourrez y découvrir une toute autre interprétation, moins sérieuse, plus pétillante de joie (et sans doute plus romantique) que celle du Maître Grumiaux. Plus proche me semble-t-il des circonstances détendues et passionnées de la composition de l’œuvre, Shaham et Eguchi nous offrent un pur moment de bonheur, celui de partager la musique, c’est bien là aussi le rôle de la musique de chambre.


 

Fauré, Sonate op13, Shaham