Le Vendredi Saint a toujours été l’un des points culminants de l’année chrétienne. Jour funeste où le Christ, après une terrible Passion commencée quelques jours plus tôt, meurt sur la Croix, il témoigne de la souffrance d’un dieu fait homme pour la rédemption des péchés de l’humanité et prépare la grande fête de la Résurrection, le dimanche de Pâques.
Voilà pour le calendrier de ces jours-ci. Mais dans un monde où la foi chrétienne n’est plus le repère de tous et où l’enseignement n’est plus nécessairement tourné vers l’explication de la Bible et du Nouveau Testament, bref dans un monde laïcisé, comment ces images et leurs messages peuvent-ils encore être compris par tous ? Je suis un agnostique, vous le savez peut-être ou vous l’avez senti en lisant mes billets. Par contre, je me suis toujours beaucoup intéressé à l’histoire religieuse, à la théologie et aux diverses exégèses des textes sacrés. Pourquoi cela ? Tout d’abord parce que c’est la culture du monde occidental, qu’on le veuille ou non. C’est le monde dans lequel mes parents m’ont élevé, c’est sa culture qui m’a été enseignée. Connaître la culture qui est la nôtre est essentiel pour moi, tout simplement pour m’identifier à une tradition, mais aussi pour pouvoir mesurer ce qui nous rapproche des autres. Attitude d’ouverture, absolument. Comprendre l’autre, c’est apprendre ses similitudes et ses différences. Les envisager avec ouverture d’esprit, c’est gagner un peu d’humanité.
Mais la musique et l’art m’ont bien souvent ramené vers les manifestations du sacré. Car l’art, l’une des branches les plus exceptionnelles de la culture, est bien souvent sacré. Les épisodes de la Bible, illustrés et commentés par les peintres, par les compositeurs d’opéras et d’oratorios, les messes, les passions, les cantates sacrées, les peintures et sculptures de toutes les époques, une bonne part de la littérature européenne, sans parler de l’architecture, essentielle à la rhétorique religieuse, tous nous parlent des notions sacrées. Si nous ne les comprenons plus, comment pouvons-nous encore comprendre la pensée des hommes ? Alors non, décidément non, il n’est pas étrange de s’intéresser aux choses de la Foi. Bien au contraire, cela nous conduit à un constat qui étonne encore certains : l’art sacré n’est pas réservé au croyant. Mais attention, nuance oblige: pour le comprendre et l’apprécier, il nous faut pouvoir admettre que des hommes aient pu croire à ce dont nous doutons… Il nous faut développer une sorte d’empathie profonde et sincère, concept qu’on ne peut nommer autrement que par le mot « tolérance ».
Ainsi, et puisque nous sommes un Vendredi Saint, je voulais tenter de décrypter avec vous l’une des nombreuses « Crucifixions » que l’histoire de l’art nous a laissées. Mais laquelle… La plupart, en fonction de l’époque qui les a vu réalisées, de la confession de l’artiste et de la destination de l’œuvre, sont profondément émouvantes, bouleversantes même… Sans doute parce qu’il s’agit là de la mort d’un homme et que, par sympathie, nous ne sommes pas indifférents à la souffrance de cet homme… Mais c’est sans doute bien plus que cela. Le Christ en Croix est un véritable symbole de douleur, d’espérance… et de mystère.
Alors, pour ne pas tomber dans les sentiers battus que représentent les ultra-célèbres œuvres (dans l’ordre ci-dessus, cliquez sur les images pour les agrandir) de Grünewald, de Masaccio, de Mantegna, de Velasquez, de Raphaël, de Rubens, de Goya, du Greco, de Dali, de Gauguin, de Chagall, … j’en passe…, j’ai eu envie de vous parler du Christ mort en Croix de Philippe de Champaigne.
Philippe de CHAMPAIGNE, Le Christ mort sur la Croix, 1655.
Peinture, Huile sur toile
227 x 202 cm
Musée de Grenoble
Philippe de Champaigne (1602-1674) est un peintre de l’époque baroque (classique, comme on le nomme souvent) assimilé à l’école française. Il était pourtant né à Bruxelles, dans une famille pauvre. Sentant peut-être que rien ne pousse sous les grands arbres, il décide de refuser d’intégrer l’atelier de Rubens à Anvers et devient l’élève d’un peintre paysagiste bruxellois, Jacques Fouquières. En 1621, il décide de faire le voyage d’Italie, mais il s’arrête à Paris où il rencontre et travaille avec Nicolas Poussin à la décoration du Palais du Luxembourg sous la direction de Nicolas Duchesne dont il épousera la fille.
Après la mort de son protecteur et patron, il peint pour Marie de Médicis et pour Richelieu pour qui il réalise, entre autres, les peintures du dôme de l’église de la Sorbonne. Il devient membre de l’Académie royale de Peinture en 1648. C’est dans ces année-là qu’il subit l’influence janséniste. Après que sa fille soit miraculeusement guérie d’une paralysie, il peint son œuvre la plus célèbre, Ex-Voto (1662), conservée au Louvre. Elle représente sa propre fille en compagnie de la mère supérieure.
La plupart des peintures de Champaigne sont religieuses, influencées par Rubens, mais devenant de plus en plus austères au fil du temps. Le Christ mort en Croix témoigne de la ferveur religieuse de Philippe de Champaigne. Celle-ci le désignait comme un interprète idéal de la piété ascétique des Chartreux. Ils firent d’ailleurs plusieurs fois appel à son talent; c’est le cas pour cette Crucifixion qui fut réalisée en 1655 pour le monastère de la Grande Chartreuse.
L’image du Christ mort et de la croix semble projetée vers le spectateur. Son inscription au premier plan du tableau, le fait qu’elle occupe toute sa hauteur lui confèrent une proximité troublante et une puissante monumentalité. La solennité dramatique de cette évocation s’accompagne de nombreuses références aux Écritures propices à la méditation chrétienne et adaptées à la culture érudite des commanditaires.
Car la peinture religieuse, comme la profane, d’ailleurs, possède un rôle didactique, édificateur. Elle doit permettre à l’observateur de comprendre et de méditer sur l’image elle-même et son message. Le refus de tout pathos inutile, le goût de l’économie formelle, l’usage d’une gamme colorée austère souverainement maîtrisée font de cette œuvre hautement spirituelle l’une des plus belles créations de Philippe de Champaigne… et l’une des plus rhétoriques. Le Christ mort sur la Croix n’est pas une oeuvre qui hurle la douleur, ne montre pas un homme mort dans la souffrance. Il se dégage de l’oeuvre comme une paix surnaturelle.
Le choix du moment n’est pas pour rien dans cette première impression. Car ce doit être l’un des dilemmes les plus difficiles des artistes. Quel moment dois-je choisir pour ma représentation. Philippe de Champaigne a donc choisi celui de la mort du Christ, après les fameuses dernières paroles: « Tout est accompli » et « Je remets mon âme entre tes mains » tirées de l’Évangile de Saint Jean. L’accomplissement de quoi? De la Rédemption de l’homme. Le Christ en mourant sur la Croix accomplit sa mission, payer la dette de l’homme pécheur et lui offrir la Rédemption. Quel geste d’amour plus grand pourrait-on imaginer? C’est là toute l’importance du moment. Quand Jésus a terminé d’accomplir les prophéties annoncées de longue date dans l’Ancien Testament, il peut trouver le calme de l’accomplissement. Sa mort est donc une délivrance plus qu’un moment d’horreur. Son visage, le peintre lui a donné une détente et une sérénité exceptionnelle. Le Christ dort. Mais tout croyant sait bien que ce sommeil sera bientôt suivi de la Résurrection… le triomphe de la vie sur la mort. En éliminant le pathos de sa représentation, l’artiste n’a pas seulement voulu représenter la mort du Christ, mais l’accomplissement des desseins de Dieu et l’espoir qui en résulte pour l’homme.
Pour encore bien confirmer cette lecture, il suffit de constater que Philippe de Champaigne a placé un crâne au pied de la Croix, renouant ainsi avec les artistes des siècles précédents. Ce crâne, selon la tradition, n’est pas n’importe lequel. Il s’agit de celui d’Adam, le premier homme, certes, mais surtout, le premier pécheur. Oui, Adam était enterré sur le mont Golgotha Cela affirme, une fois de plus, et par un raccourci exceptionnel entre le péché originel et la Passion du Christ, la vocation rédemptrice de Jésus.
Le Golgotha est une colline située à l’extérieur de Jérusalem, sur laquelle les Romains crucifiaient les condamnés. Elle est désormais incluse dans la basilique du Saint-Sépulcre. « Golgotha » est la forme grecque de l’araméen gulgūltá et de l’hébreu biblique gulgōlet, « crâne ». Ce nom vient sans doute de la présence d’ossements et de crânes mais il se peut aussi que le sommet de la colline eût la forme d’un crâne. On lui donne d’autres noms tels que Calvaire (Calvarium en latin) ou Kraniou Topos (Κρανιου Τοπος en grec). Le crâne situé au pied de la croix résulte d’une longue et complexe histoire: Adam mourant demande à son fils Seth d’aller réclamer l’huile de miséricorde à l’ange qui garde la porte du paradis. Celui-ci la refuse, mais lui confie les graines de l’Arbre de la Vie, qu’il devra mettre dans la bouche d’Adam après sa mort: quand l’arbre donnera des fruits, son père sera guéri et sauvé. Sitôt Adam mis en terre, l’arbre commence à pousser et devient énorme. Noé, au moment du Déluge, récupère l’arbre poussant dans le crâne d’Adam et, une fois les intempéries terminées, le plante au mont Golgotha. De nombreux autres épisodes rocambolesques conduiront, finalement à faire du bois de cet arbre le bois de la croix du Christ (d’après l’Evangile de apocryphe de Nicodème et, à sa suite, la Légende dorée de Jacques de Voragine).
Selon les peintres, la Croix est représentée de diverses manières. Elle peut d’ailleurs avoir plusieurs formes. La croix romaine que la chrétienté a désormais adoptée peut sembler avoir été fabriquée à partir des branches même de l’arbre et adopter un aspect rugueux, voir grossier (Grünewald) ou, au contraire, être constituée de planches finement découpées, rabotées et polies (Velasquez). Philippe de Champaigne a choisi un bois solide, fort, qui ressemble à un immense madrier non exempt de quelques coups dus à la manipulation de la Croix par le Christ qui, ne l’oublions pas, l’a portée pendant tout le Chemin de Croix. Elle semble donc très lourde et il faut même, pour la ficher dans le sol du Golgotha, la consolider avec des pieux… Cette croix a décidément dû être très lourde à amener jusque là et à dresser. Mais elle se dresse majestueusement, renforçant également de la sorte le symbole de victoire, de fierté, d’accomplissement et de rédemption.
Le corps du Christ est cloué sur cette solide croix. Il y aurait beaucoup à dire sur cette terrible particularité. Les spécialistes ne sont pas toujours d’accord sur le nombre de clous, ni sur la manière dont ils sont placés. Peu importe, ici du moins. Notre peintre choisit l’option de ne pas mettre de support pour les pieds et de clouer les deux pieds avec le même clou. Il en résulte une tension beaucoup plus grande de tous les muscles du corps. C’est l’inverse chez Velasquez où grâce au support pour les pieds, le corps semble plus au repos. Cette musculature, celle d’un athlète, est typique d’un homme qui possède un corps sain, beau, habitué à la marche et à l’endurance. « Mens sana in corpore sano » dit le proverbe. Il correspond parfaitement à l’image pure du Christ que veut donner Champaigne.
Toujours est-il que les clous ont généré des plaies, tout comme le coup de lance destiné à achever le supplicié. Dans certaines crucifixions, le peintre a pris le parti de créer l’effroi en inondant la scène du sang du Christ qui gicle ostensiblement des plaies béantes. Comme d’autres, notre peintre a dû observer les cadavres lors des séances d’études. Il sait qu’une fois l’homme sans vie, le sang ne coule plus et ne jaillit plus du corps, à l’inverse de ce qu’on montrait au Moyen-Âge. Alors, il montre un simple filet de sang qui a coulé de la plaie provoquée par la lance et est presque déjà sec. Il a souillé le blanc pur du linge, s’est infiltré dessous pour continuer à couler vers la cuisse. Les plaies des mains et des pieds ont aussi coulé. On en distingue la trace le long de l’avant -bras, dans la paume de la main ainsi qu’aux pieds. Le sang a d’ailleurs coulé sur le bois de la Croix, jusque sur l’un des pieux qui la soutiennent. Une légère trace se trouve sur le sol, juste à côté du crâne d’Adam. Mais le sang des mains s’est également répandu sur le sol de part et d’autre de la croix. L’image est simple, mais très rhétorique. Le sang du Christ, symbole de sa vie et de sa souffrance, se répand sur le monde pour le purifier.
Du sang, il y en a aussi un peu sur le torse, résultat de l’enfoncement sur la tête du Christ de la couronne d’épines. Une couronne ironique, profondément humiliante placée là par les tortionnaires, ceux qui ne veulent pas de Jésus comme roi. C’est d’ailleurs l’objet de la traditionnelle inscription souvent résumée par INRI (Jésus de Nazareth Roi des Juifs). Ici, le peintre applique la tradition d’une inscription trilingue: l’hébreu, la langue du peuple, en haut, le grec, langue de la culture la plus répandue au milieu et le latin, la langue de l’administration romaine en dessous. Il semble que la coutume était de placer une pancarte informative, un titre (titulus), qui indiquait les raisons de la peine de mort. Jésus s’était affirmé roi, c’est là, au regard des juifs et d’un Ponce Pilate dépassé par les événements, mais convaincu de l’exemplarité de la peine de mort, sa seule faute. Faute ambiguë d’ailleurs que les grands prêtres cherchèrent à préciser en demandant à Pilate d’inscrire que Jésus s’était prétendu le roi des Juifs. Pilate qui s’en était lavé les mains laissa la pancarte telle qu’elle en répliquant par la désormais célèbre formule: « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit« . Il faisait ainsi un pied de nez à ceux qui avaient voulu condamner à mort un homme qui, pour ce seul délit, aurait mérité seulement une flagellation.
Cette imposante scène se dresse devant nous dans sa solitude et dans sa force calme. Remarquons au passage que même les deux larrons ne sont pas présents… Ou bien ils sont en dehors de notre champ de vision. À l’arrière-plan se trouve la ville de Jérusalem et un paysage composé d’une pyramide et d’un cours d’eau.
L’arbre est plongé dans les ténèbres et seule une lueur semble nous montrer qu’il fut un jour éventré. Il s’agit probablement de l’arbre qui avait poussé dans le crâne d’Adam et qui, Arbre de Vie, avait servi, selon différentes sources apocryphes, à construire la Croix du Christ. Symbole de vie,il semble répondre d’un manière très forte à l’image du Christ. Cet arbre a une histoire extrêmement complexe et possède de nombreuses variantes que je ne peux aborder dans le cadre de ce blog.
On peut s’étonner de trouver dans le cadre de la Crucifixion la représentation d’une pyramide. Géographiquement, il est impossible que le mont Golgotha permette la vue de cette pyramide égyptienne. Car à y regarder de plus près, il s’agit probablement de la Grande Pyramide de Kheops. Rhétorique! Il faut revenir à l’enfance du Christ. Hérode, effrayé par l’annonce qu’un sauveur allait venir sauver Israël, décida d’entreprendre un grand recensement et de tuer les premiers-nés des familles. Il allait s’en suivre le terrible Massacre des Innocents. Joseph, Marie et Jésus partirent donc pour l’Égypte, épisode bien connu sous le nom de Fuite en Égypte de la Sainte Famille et souvent illustré par les peintres. D’après des textes périphériques, apocryphes et même ésotériques, lors du séjour là-bas, Jésus aurait été initié et aurait reçu la parole divine au centre de la Grande Pyramide. Il faut dire que la symbolique de la pointe, élément unique à la limite du ciel représenterait Dieu et que la base de l’édifice serait un résume du monde, avec ses quatre coins, recevant la lumière. Les propriétés ésotériques du centre de la construction auraient donc servi à confirmer la double nature de Jésus, humaine et divine. Mais c’est sans doute là aussi un moyen pour la chrétienté de récupérer le plus extraordinaire monument de l’antiquité, la première merveille du monde en affirmant qu’elle avait été construite sur les desseins et le commandement de Dieu lui-même.
Quant au cours d’eau, il est une allusion au Jourdain, là où Jésus fut baptisé par Jean le Baptiste. Il constitue une seconde révélation et preuve de la nature divine de Jésus: « Alors Jésus vint de la Galilée au Jourdain vers Jean, pour être baptisé par lui. Mais Jean s’y opposait, en disant : C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et tu viens à moi ! Jésus lui répondit : Laisse faire maintenant, car il est convenable que nous accomplissions ainsi tout ce qui est juste. Et Jean ne lui résista plus. Dès que Jésus eut été baptisé, il sortit de l’eau. Et voici, les cieux s’ouvrirent, et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et voici, une voix fit entendre des cieux ces paroles : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection. » (Matthieu, 3, 13-17).
Le Jourdain aujourd’hui
L’arrière-plan est donc, pour Philippe de Champaigne, l’occasion de rappeler les épisodes marquants de la mission du Christ sur cette terre. Il la complète par des éléments particulièrement rhétoriques comme ce ciel divisé en deux parties. La première est sombre, noire même. Elle a le mérite de mettre en évidence la clarté du corps du Christ. Elle semble faire allusion aux crucifixions peintes par les espagnols (observez celle de Velasquez, par exemple). Les ténèbres, symbole de la perdition du peuple des hommes qui ont fini par mettre à mort leur sauveur. Ténèbres et triomphe de la mort. Mais opposition avec la clarté du corps lui-même.
Cette manière de faire n’est pas éloignée des règles de la Contre-Réforme. Il s’agissait en effet de recentrer le propos sur l’essentiel, le message sacré. Or, les peintres flamands et italiens avaient pris les scènes sacrées comme un prétexte à déployer leur art du paysage. On admirait autant le paysage d’arrière-plan, qui parfois même devenait l’avant plan, que la scène elle-même. Les très catholiques espagnols renonçaient donc au paysage et aux éléments qui « déconcentrent ». Ainsi également des « larrons » et même des personnages qui entourent la Croix (Marie, Saint Jean, Marie-Madeleine, les soldats romains, …).
Retrouver l’austérité. Voilà ce que Champaigne touche également. Mais il adopte une attitude intermédiaire, lui qui vient de l’école flamande. Il crée certes l’opposition entre les ténèbres du monde et la lumière rédemptrice du Christ, mais il place des éléments visibles et symboliques. les ténèbres ne sont pas complètes et le bas de la scène est encore baigné dans une lumière presque irréelle, celle de l’éclipse que les Écritures mentionnent au moment de la mort du Christ. Le tremblement de terre est plus difficile à montrer en peinture. Il sera parfaitement illustré par Haydn dans ses Sept Dernières Paroles du Christ en Croix, l’équivalent musical, avec les Passions, de la Crucifixion.
Aujourd’hui, ces éléments naturels font encore discuter les spécialistes sur la date et l’année de la Crucifixion. Plusieurs dates sont proposées (d’après Wikipedia):
- le vendredi 7 avril 30, pleine lune le jeudi 6 avril à 23h56.
- le vendredi 3 avril 33, pleine lune le 3 avril à 15h02. Ce même jour, une éclipse partielle de lune théoriquement visible à Jérusalem eut lieu vers 17h51 à 18h33 (heures locales) : cette éclipse a pu être rapprochée de l’éclipse de soleil (impossible au moment de la pleine lune) décrite dans les Évangiles synoptiques (Mt 27. 45|Mc 15. 33|Lc 23. 44).
- le 26 avril 33 de notre ère – or Jésus serait né en -7 ce qui lui donnerait environ 40 ans ; de plus il serait né avant le nouvel an juif donc entre mi-septembre et mi-octobre -7 de notre ère (en Terre sainte aussi les nuits sont froides en hiver et le bétail dort à l’abri) ; quant à l’étoile, il s’agirait d’un alignement de planètes de notre système solaire. Il y aurait bien eu un tremblement de terre dans cette région par contre.
On le voit, la représentation du Christ en Croix de Philippe de Champaigne a un autre but que de simplement illustrer la scène du Vendredi Saint mainte fois représentée. Elle cherche à expliquer, à édifier. En premier lieu, en faisant une synthèse de l’Histoire Sainte depuis Adam jusqu’à la mort du Christ, créant ainsi une étrange ligne du temps au sein de l’art pictural en faisant se confronter plusieurs époques et épisodes qui doivent inspirer l’observateur. Ensuite, il s’agit pour le peintre d’affirmer sa vision de la Foi et celle des commanditaires de l’oeuvre. Le message du triomphe de la vie sur la mort dans une représentation qui pourtant est censée nous montrer un cadavre est présent dans la lumière, dans le calme de la scène. C’est comme si le Christ n’était pas vraiment mort, comme s’il dormait. Son corps reste une lumière, un point de ralliement, comme un phare dans la nuit. Son auréole semble confirmer la vie qui est encore en lui et la promesse de la nouvelle vie. Sommeil certes lourd, sommeil terrible qui trouvera son aboutissement dans l’extraordinaire réveil de la Résurrection le Troisième jour. Et malgré la profonde douleur d’une telle scène, c’est bien du triomphe de la lumière sur les ténèbres qu’il est question ici. On est loin de l’obscurantisme mortifère de certaines représentations.
C’est bien là le propos d’une oeuvre d’art : inciter l’observateur à réagir, à méditer sur ce qu’il voit. Toujours aller plus loin, au-delà des premières impressions. Que gagne-t-on à de telles observations? Sans doute une plus forte perception des choses, sans doute plus d’émotions, sans doute ce que j’appelais tout à l’heure, la tolérance. L’art nous confronte à la pensée de celui qui a créé l’oeuvre, mais il nous confronte surtout à nous-mêmes. La mort d’un homme, la lutte entre les ténèbres et la lumière, le temps, toutes ces notions ne sont pas le propre des croyants, mais de tout être un peu habité par l’humanité. C’est le rôle de l’art de nous révéler à nous mêmes, c’est notre rôle de bien vouloir l’accepter.
Bonnes fêtes de Pâques à tous…croyants ou non!