Le Festin d’Hérode

 

Le Festin d’Hérode, ce bref épisode présent dans les évangiles de Marc et de Matthieu, a fasciné de nombreux artistes depuis le Moyen Âge. L’histoire de l’arrestation du prophète qui avait baptisé le Christ, de la danse de Salomé et de la décapitation de saint Jean-Baptiste ont suscité chez les artistes et les hommes au sens large un mélange de séduction, de fascination et d’horreur entre faste décadent et barbarie de cour.

 

En préparation aux représentations de Salomé par l’ORW et à la conférence que je donnerai sur le sujet mercredi soir, je vous propose aujourd’hui de suivre le texte de l’Évangile de Marc, de l’illustrer d’oeuvres allant du Moyen-Âge à l’époque symboliste et de commenter un peu chaque représentation. Il s’agit d’une brève sélection parmi des dizaines d’autres oeuvres iconographiques consacrées au sujet. Vous aurez ainsi la trame sur laquelle Wilde et Strauss vont broder leur Salomé très différente. Le texte en grands caractères est celui de Saint Marc, tandis que le plus petit est le commentaire de l’oeuvre présentée.Il vous suffira de cliquer sur l’image pour pouvoir l’observer en un format plus grand.

 

« Hérode avait fait arrêter Jean et l’avait enchaîné en prison, à cause d’Hérodiade, la femme de son frère Philippe, qu’il avait épousée.

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Maître de Miraflores, L’Arrestation de saint Jean-Baptiste, 1490 Prado

 

Pour le peintre, Saint jean-Baptiste se montre précurseur du Christ au moment de sa propre arrestation. A l’exception du paysage urbain, cette scène est très proche de celle de l’arrestation de Jésus dans le jardin de Gethsémani et son visage exprime la même résignation que celle du Christ. Des membres de l’aristocratie, que Jean avait critiquée, assistent à son arrestation.

 

Car Jean disait à Hérode : « Il ne t’est pas permis de garder la femme de ton frère». Aussi, Hérodiade le haïssait et voulait le faire mourir, mais elle ne le pouvait pas, car Hérode craignait Jean, sachant que c’était un homme juste et saint, et il le protégeait. Quand il l’avait entendu, il restait fort perplexe; cependant il l’écoutait volontiers.

 

 

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Preti, Mattia, Saint Jean-Baptiste devant Hérode-Antipas, vers 1665

 

Jean accuse Hérode de divers péchés dont celui de vivre avec Hérodiade, l’épouse de son frère qu’il a fait assassiner. Hérode semble troublé par la parole du saint. Il le considère d’ailleurs comme un homme juste et écoutait ses prédications avec plaisir. De dos, Hérodiade est la véritable responsable du martyre de Jean. C’est à elle plus encore qu’au roi et à Salomé qu’est due la décision de le mettre à mort. Salomé, fille d’Hérodiade et de Philippe, est une belle jeune fille. Elle devient, dans le récit biblique, un instrument docile dans les mains de sa mère.

 

 

Mais un jour propice arriva lorsqu’Hérode, pour son anniversaire, donna un banquet à ses dignitaires, à ses officiers et aux notables de Galilée.

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Filippo Lippi Le Festin d’Hérode 1452-1464

 

Peinture représentant simultanément plusieurs étapes de la scène. Sur la gauche, Salomé danse devant Hérode et sa cour. Au centre de l’oeuvre, Hérode observe la danse pendant que Hérodiade vante la grâce extrême de sa fille. Sur la droite, Salomé présente à sa mère, apparemment satisfaite bien que d’une froideur extrême, la tête de Jean déposée sur un plateau.

 

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Donatello, Le Festin d’Hérode, 1423, Sienne

 

Dans ces célèbres fonts baptismaux, la tête de Jean est présentée à Hérode par l’un des bourreaux agenouillé devant son roi. Hérode, à gauche, a un mouvement de stupeur horrifié. Seule Hérodiade se penche vers la tête pour admirer le macabre trophée. Les convives semblent d’ailleurs pris d’un mouvement de répulsion sur la droite, laissant un espace central assez vide dans lequel on peut admirer le superbe effet de perspective ainsi qu’un joueur de viole sous l’arcade centrale. Au premier plan des convives, on reconnaît Salomé qui, par son élégance, rappelle la danse qu’elle vient d’exécuter.

 

La fille de cette Hérodiade vint exécuter une danse et elle plut à Hérode et à ses convives.

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Hérode et Salomé, Chapiteau roman XIIème siècle, Toulouse, musée des Augustins

 

La main d’Hérode déposée sur son genou symbolise son sentiment de pouvoir et souligne la fermeté et la détermination. De sa main gauche, il caresse le menton de Salomé. Dans la symbolique iconographique du Moyen Âge, ce geste symbolise une sensualité coupable. Le mouvement croisé des jambes de la jeune fille indique qu’elle est en train d’exécuter sa danse de séduction.

 

 

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Moreau, Gustave, Salomé, 1892, Los Angeles, Californie

 

La danse de Salomé (voir le billet:  http://jmomusique.skynetblogs.be/archive/2011/05/26/decadence.html )

 

Le roi dit à la jeune fille : « Demande-moi ce que tu veux et je te le donnerai ». Et il lui fit ce serment : « Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai, serait-ce la moitié de mon royaume ». Elle sortit et dit à sa mère : « Que vais-je demander ? » Celle-ci répondit : « La tête de Jean le Baptiste ». En toute hâte, elle rentra auprès du roi et lui demanda : « Je veux que tu me donnes tout de suite sur un plat la tête de Jean le Baptiste ».

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di Paolo, Salomé demande à Hérode la tête de Saint Jean-Baptiste, 1450, Chicago

 

Plusieurs épisodes de l’histoire sont encore présentés ici. Le principal est celui où Salomé, après avoir dansé, s’adresse à Hérode pour lui demander en récompense la tête de Saint Jean-Baptiste. Un serviteur prend le plat d’argent sur lequel sera déposé la tête après la décollation.

 

Le roi devint triste, mais, à cause de son serment et des convives, il ne voulut pas lui refuser. Aussitôt le roi envoya un garde avec l’ordre d’apporter la tête de Jean.

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Le Caravage, La Décollation de Saint Jean-Baptiste, 1608, La Valette

 

Comme toujours, chez Caravage, l’émotion est à son comble. L’exécution se déroule dans la cour d’une prison. A travers les barreaux de leur cellule, des prisonniers observent la scène. La recherche d’un réalisme saisissant et dramatique s’allie à une extrême attention à la lettre des textes. En effet, Saint Jean-Baptiste n’était pas détenu dans une cellule du palais d’Hérode, mais dans une forteresse située non loin de la Mer Morte. La décapitation n’a pas réussi parfaitement. Le geste tremblant de l’exécuteur n’a que partiellement détaché la tête du cou. Le bourreau tire d’un fourreau à sa ceinture le couteau appelé « miséricorde » pour donner le coup de grâce. Ce n’est pas Salomé qui porte le plateau mais une jeune servante. Horrifiée, une vieille dame se prend la tête dans les mains tandis qu’un officier désigne le plateau où doit être posée la tête une fois détachée…impressionnant!

 

 

 

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Hans Memling, la Décollation de Saint jean-Baptiste, 1474, Bruges

 

Le corps décapité du saint gît sur le sol. Ses mains sont jointes en un ultime geste de prière. La tête est remise à Salomé par le bourreau. Il la dépose sur le plateau d’argent. La jeune femme ferme les yeux mais accepte le présent de manière déterminée. On aperçoit, à l’arrière plan, l’intérieur du palais d’Hérode où Salomé danse pour le tétrarque devant la table du festin. Tout en haut, dans les nuées, Dieu le Père veille sur toute la scène.

 

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Antonio Campi, La Décollation de saint Jean-Baptiste, 1571, Milan

 

Dans la peinture de Campi, Jean-Baptiste n’est pas encore décapité. Ses mains sont liées et il est déjà agenouillé devant le billot sur lequel il sera mis à mort dans un instant. Par terre, on aperçoit le plateau d’argent destiné à recevoir sa tête. Le bourreau attend que le saint soit dans la bonne position pour le décapiter. Deux femmes se trouvent près de la porte. La première est âgée et tient une chandelle, l’autre est jeune. Ce sont sans doute deux servantes envoyées par Hérode pour ramener la tête de Jean. Toute la scène se déroule dans une sombre prison et c’est l’occasion, pour le peintre, de jouer avec les ombres et les lumières en un clair-obscur particulièrement dramatique. La position du saint laisse supposer une dernière prière accordée par le bourreau et l’officier d’Hérode.

 

Le garde alla le décapiter dans sa prison, il apporta la tête sur un plat, il la donna à la jeune fille, et la jeune fille la donna à sa mère. 

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Rubens, Le Festin d’Hérode, 1630, Edimbourg

 

Ici, Salomé, d’un air satisfait, présente la tête du saint à Hérode qui paraît tétanisé d’horreur. Sa main gauche a agrippé la nappe de la table et sa nervosité est évidente. Hérodiade, elle, est réjouie de la scène et montre une véritable expression de suffisance. Rubens a voulu marquer l’aspect cruel de la scène. Le plateau utilisé est muni d’un couvercle comme pour transporter les plats chauds. Il semble même qu’ Hérodiade pique la tête pour en vérifier la cuisson. Tous les convives sont effrayants, comme s’ils étaient tous méchants.

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Andrea Solario, La tête de Saint Jean-Baptiste, 1507, Paris, Louvre.

 

La tête de Saint Jean est devenue un objet de dévotion et le sujet de très nombreux tableaux. Le plateau avec la tête est ici figuré comme un présentoir raffiné, caractéristique de l’orfèvrerie lombarde de la Renaissance. Elle se présente à nos yeux comme une nature morte (c’est le cas de le dire!) où le visage de Jean est celui d’un homme apaisé et serein. Un peu plus et on le croirait endormi, en plein contraste avec les événements agités et passionnés qui viennent de se dérouler.

 

Quand ils l’eurent appris, les disciples de Jean vinrent prendre son cadavre et le déposèrent dans un tombeau. » (Évangile de Marc 6, 17-29)

 

Les textes en petit caractère sont repris de l’ouvrage de Stefano Zuffi, Le Nouveau Testament, éd. Hazan, Paris, 2009.

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