Valsons un peu… !

 

Les fêtes de fin d’année sont déjà bien loin et les échos des valses, des polkas et autres galops viennois laissent tout doucement la place à d’autres horizons. Si les grandes valses de la dynastie Strauss figurent parmi les chefs-d’œuvre orchestraux les plus incontournables de la musique des bals, d’autres valses méritent une attention accrue. Celles de Frédéric Chopin (1810-1849) occupent, dans mon esprit… et surtout dans mon cœur, une place privilégiée.

On sait que le compositeur polonais détestait les grands concerts publics et qu’il préférait se produire dans les salons. Le petit comité, trié sur le volet, les ambiances feutrées des salons de la Comtesse Delphine Potocka où conversent les grands noms de l’art, Liszt, Delacroix, Hiller, Pleyel, Balzac, Sand,… voilà l’univers de Chopin !

 

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Et pourtant, sa musique est loin de se résumer à un « piano de salon ». La petite forme règne en maître dans les salons. En quelques minutes seulement, loin des grandes sonates, il faut créer une ambiance, une émotion. Il faut en varier les affects et passer du souvenir déchirant du pays lointain à la danse vive. Il faut voyager d’un nocturne apaisant parfois, tragique souvent, à la virtuosité la plus spectaculaire, héroïque même, de certaines des Polonaises. À ce petit jeu, les Valses de Chopin sont un magnifique corpus d’une variété inouïe. Autant d’émotions qu’il y a de valse… cela donne à l’ensemble une diversité qui s’apparente à une somme. Et justement, c’est cette somme que vient d’enregistrer l’excellente pianiste belge Éliane Reyes. Un cd* qui sortira prochainement dans les bacs et que j’avais envie aujourd’hui de vous présenter un peu.

Les valses de Chopin ne sont pas traditionnelles et n’utilisent pas de véritable thème populaire. Elles ne sont donc pas, à l’exception notable de trois d’entre elles seulement, la Grande Valse brillante op. 18, la Valse op. 64 no 2 et la Valse op. 70 no 2, destinées à être dansées. Elles n’ont pas non plus été écrites à la suite et leur composition s’étale entre 1829 et 1848. Seules huit d’entre elles ont été publiées du vivant du musicien, ce qui explique le nombre de valses indiquées « opus posthume ». Parmi celles-ci, les valses de l’opus posthume 70 qui figurent parmi les œuvres de jeunesse du compositeur. Chopin en a donc composé dix-neuf mais George Sand en aurait peut-être brûlé tandis que d’autres ont disparu lors d’un incendie. Toutes plus belles les unes que les autres, ces valses font partie des œuvres les plus connues de Chopin, c’est l’intégrale de ces 19 pièces que nous offre notre pianiste.

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Hendrik Siemiradzki – Chopin jouant du piano dans le salon du prince Antoni Radziwill chanteur et violoncelliste lui-même.

Elle nous les offre… le mot n’est pas trop fort. On sent dès les premières notes que la matière musicale vient directement du cœur. On y découvre les enchantements de la mélancolie des valses lentes, comme une plongée au cœur de l’être. Dans le tournoiement modéré mais incessant des « valses tristes », on se redécouvre soi-même. Plongés au plus profond de notre émotion, les valses dispensent ce sentiment très étrange qui allie la mélancolie d’un passé révolu à tout jamais… cette notion que les allemands nomme « Sehnsucht » et que le mot nostalgie traduit si mal. Jardin secret enfoui au fond de nous, mal du pays, pas seulement celui de la Pologne natale de Chopin, mais le territoire intérieur révolu, celui du passé ancré au fond de chacun d’entre-nous. Éliane Reyes parvient pas son jeu subtil, tout en nuance et en finesse, à le raviver en nous. Elle n’impose pas une vision des valses, elle aide à sa révélation intérieure en nous… c’est mieux !

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 La statue de Frédéric Chopin à Żelazowa Wola (conçue par Józef Gosławski, 1955 1969).

Quant aux valses brillantes, qui contiennent tant de difficultés pianistiques, elles sont magistralement maîtrisées et contiennent la fougue et la finesse. Aucune ne nous laisse indifférent. Absolument Superbe !

Quelques mots, dans le livret indiquent comment ce sortilège est possible. Notre pianiste fréquente ces valses à des degrés divers depuis 25 ans. La clé est sans doute bien là. Elles ont été apprises, comme beaucoup de pianistes les apprennent, elles ont été digérées longtemps, assimilées et remises sur le métier tant et tant de fois pour, un quart de siècle plus tard, ressortir avec un naturel confondant qui est celui de la maturité musicale ce naturel qui fait que les doigts se font voix, chantent, chantent encore et dansent sur les fameux trois temps pourtant si variés. Ces quelques mots de la virtuose témoignent avec émotion de cette assimilation initiatique, elle qui avait fait son apparition médiatique dans la célèbre École des fans de Jacques Martin en 1987 en jouant… une valse de Chopin :

 

 

« … tout le monde me connaît par cette émission de Jacques Martin. Je me sens libre lorsque je joue Chopin. Je m’y sens authentique. Mais je ne suis plus cette petite fille ; je suis une femme, je suis une mère et je suis un professeur. Cet enregistrement m’aide à refermer un premier cercle et à en esquisser un second ».

 

Un superbe cd qui fait chaud au cœur donne à ces valses un propos existentiel renouvelé, varié et bouleversant. Indispensable! Bravo !

 

*Un cd Azur classical AZC 134