Le poète parle… entre mélancolie et consolation… le temps d’une valse… impromptue!
Heinrich Vogeler, Sehnsucht, 1901.
Franz Schubert (1797-1828) Impromptu op.90 n°2 par Krystian Zimerman.
« Consoler, ou rassurer? L’un et l’autre. L’un par l’autre. Le passé ne nous torture que par l’avenir, qui nous écrase. Tout chagrin serait supportable, s’il devait ne durer qu’un seul jour. Toute absence, si elle n’était que ponctuelle. Tout échec, s’il n’était que provisoire. Hélas! il y a tous ces jours qui nous attendent, qu’il va falloir traverser, endurer, tous ces jours et toutes ces nuits, et toujours le même deuil, toujours la même déchirure, toujours le même chagrin… Comme on voudrait s’endormir, parfois pour dix ans! Et voilà que le malheur ou l’angoisse nous réveillent en pleine nuit, nous interdisent sommeil et repos jusqu’à l’aube… Qui n’a peur du chagrin présent qui va durer jour après jour, mois après mois, qui nous attend d’autant mieux qu’il est déjà là, qui semble insurmontable? Et qui n’a envie de pleurer, réciproquement, quand la peur le dévore? C’est pourquoi l’on a besoin d’être rassuré en même temps que consolé. Entre les deux, quelle différence? La consolation porte plutôt sur le passé; rassure (il n’y a pas de substantif), sur l’avenir. Mais les deux n’existent qu’au présent: c’est combattre la souffrance actuelle (consoler), l’angoisse actuelle (rassurer), l’un ne va pas sans l’autre puisque la souffrance fait peur, puisque l’angoisse fait mal Il s’agit d’habiter le présent, et d’essayer de le rendre au moins supportable – voir agréable, si l’on peut Il y a de quoi faire, comme on dit, et ce n’est pas trop d’une vie pour tenter d’y parvenir.
Le peut-on tout à fait? Je ne sais. Le sage serait celui qui n’aurait plus besoin d’être consolé, ni rassuré, qui vivrait sans regret et sans crainte – et tant mieux pour ceux, s’il en est, qui y parviennent. Il m’est arrivé d’en rêver, quand j’étais plus jeune, puis ce rêve m’a passé La sagesse m’importe moins que la vie telle qu’elle est, telle qu’elle passe, et c’est la seule sagesse en vérité. »
André Comte-Sponville, L’inconsolable et autres impromptus, Paris, Presses Universitaires de France, 2018, p.28-29.
Gustav Klimt, Schubert au piano, 1899.