« La danse est le premier-né des arts. La musique et la poésie s’écoulent dans le temps ; les arts plastiques et l’architecture modèlent l’espace. Mais la danse vit à la fois dans l’espace et le temps. Avant de confier ses émotions à la pierre, au verbe, au son, l’homme se sert de son propre corps pour organiser l’espace et pour rythmer le temps. »
Curt Sachs, introduction à l’Histoire de la danse, Paris, Éditions Gallimard, 1938, p. 7.
Edgar Degas (1834-1917), La Danseuse étoile (1876-78).
Antonin Dvořák (1841-1904), Sérénade pour cordes, Op. 22, II. Tempo di valse interprété par l’Orchestre philharmonique de Munich, dirigé par Rudolf Kempe.
«J’entre tout de suite dans mes idées, et je vous dis sans autre préparation que la Danse, à mon sens, ne se borne pas à être un exercice, un divertissement, un art ornemental et un jeu de société quelquefois ; elle est chose sérieuse et, par certains aspects, chose très vénérable. Toute époque qui a compris le corps humain, ou qui a éprouvé, du moins, le sentiment du mystère de cette organisation, de ses ressources, de ses limites, des combinaisons d’énergie et de sensibilité qu’il contient, a cultivé, vénéré la Danse.
Elle est un art fondamental, comme son universalité, son antiquité immémoriale, les usages solennels qu’on en a fait, les idées et les réflexions qu’elle a de tout temps engendrées, le suggèrent ou le prouvent. C’est que la Danse est un art déduit de la vie même, puisqu’elle n’est que l’action de l’ensemble du corps humain ; mais action transposée dans un monde, dans une sorte d’espace-temps qui n’est plus tout à fait le même que celui de la vie pratique.
L’homme s’est aperçu qu’il possédait plus de vigueur, plus de souplesse, plus de possibilités articulaires et musculaires qu’il n’en avait besoin pour satisfaire aux nécessités de son existence et il a découvert que certains de ces mouvements lui procuraient par leur fréquence, leur succession ou leur amplitude, un plaisir qui allait jusqu’à une sorte d’ivresse, et si intense parfois, qu’un épuisement total de ses forces, une sorte d’extase d’épuisement pouvait seule interrompre son délire, sa dépense motrice exaspérée. […]
Qu’est-ce donc que la Danse ? Il (le Philosophe) s’embarrasse et se paralyse aussitôt les esprits, – ce qui le fait songer d’une fameuse question et d’un fameux embar¬ras de saint Augustin.
Saint Augustin confesse qu’il s’est demandé un jour ce que c’est que le Temps ; et il avoue qu’il le savait fort bien quand il ne pensait pas à s’inter¬roger ; mais qu’il se perdait dans les carrefours de son esprit dès qu’il s’appliquait à ce nom, s’y arrêtait et l’isolait de quelque emploi immédiat et de quelque expression particulière. Remarque très profonde…
Mon philosophe en est là : hésitant sur le seuil redoutable qui sépare une question d’une réponse, obsédé par le souvenir de saint Augustin, rêvant dans sa pénombre à l’embarras de ce grand saint :
« Qu’est-ce que le Temps ? Mais qu’est-ce que la Danse ?… »
Mais la Danse, se dit-il, ce n’est après tout qu’une forme du Temps, ce n’est que la création d’une espèce de temps, ou d’un temps d’une espèce toute distincte et singulière. […]
Paul Valéry (1871-1945), « Philosophie de la danse » (1936), Extraits, in Œuvres, tome I, Variété, “Théorie poétique et esthétique”, Nrf, Gallimard, 1956, pp. 1390-1403.
Edgar Degas, La Petite Danseuse de quatorze ans (1879-1881)
« DANSE
Étymologiquement, l’émotion est ex otu: l’émotion est un mouvement qui surgit du mouvement lui-même, ou plus exactement, elle est l’extériorisation physique et expressive, incarnée, d’une sensation ou d’un sentiment proprioceptifs. Elle est la face visible de l’invisible affectif.
L’émotion est donc par nature l’élan et la résultante de l’élan qui part de l’intérieur vécu pour se donner à l’extérieur voyant. le français oublie souvent la dimension motrice de l’émotion, quand la langue anglaise rappelle la « motion » intrinsèquement présente dans l’émotion. L’émotion est mouvement, qui fait sortir de soi-même pour aller vers l’extérieur; l’émotion est donc un vécu kinésique, voire kinesthésique: elle est épreuve du mouvement intérieur et expérience de son expression.
Le mouvement apparaît donc comme le point nodal entre émotion et danse; ce qui lie la danse à l’émotion, c’est précisément le mouvement. Il se peut donc que la danse soit la résultante même de l’élan moteur que constitue l’élément: en tant qu’élan moteur, la danse agit l’émotion.»
Christine Leroy, article Danse (extrait), dans le Dictionnaire Arts et Émotions, Paris, Éditions Armand Collin, 2015, p. 93.
Edgar Degas, La Danseuse étoile sur pointe, vers 1878-80, Gouache et pastel.
Merci.