Un jour… Un chef-d’oeuvre! (57)

J’ai vu la lune croître et décroître
J’ai vu le sentier du vent
J’ai vu une rivière dans le ciel
J’ai vu un vol d’étoiles bleues,
J’ai vu une mer brumeuse et laiteuse
Et des îles peuplées d’oiseaux…

Chant chamanique.

58a. Escalier Musée du Vatican (1932) Giuseppe Momo d'après Bramante

L’escalier de Bramante ou escalier de Giuseppe Momo (scala del Bramante) est un célèbre escalier en colimaçon monumental double hélicoïdal allégorique, des musées du Vatican de Rome en Italie, réalisé en 1932 par l’architecte italien Giuseppe Momo, sous le pontificat du pape Pie XI. Il est inspiré d’un escalier Renaissance voisin du 16ème siècle de l’architecte Bramante, et baptisé de son nom par confusion. Il permet de sortir des musées en le descendant.

Anton Bruckner (1824-1896), Symphonie n°5, II. Adagio. Sehr langsam interprété par l’Orchestre philharmonique de Munich, dirigé par Sergiu Celibidache.

« VOIR L’INVISIBLE

Il suffisait d’une simple marelle dessinée à la craie sur le sol pour accéder, en quelques cases sautées à cloche-pied, au Ciel. Ce lieu magique aussitôt atteint, un saut de plus permettait de revenir à la case Terre. Monter au ciel, un jeu d’enfant! À moins que ce ne soit dans une perspective plus mélancolique, une façon de s’évader les jours de spleen: « N’importe où! disait Baudelaire, pourvu que ce soit hors du monde!« 

C’est justement ce « hors du monde » qui nous intrigue: qu’y a-t-il au-delà de notre perception des choses, de notre vision terre à terre à laquelle la pesanteur de notre propre corps nous ramène sans cesse? « J’ai escaladé une marche, je suis monté d’un niveau; je suis parvenu au second étage, j’ai franchi le second niveau… », chantent les chamans sibériens pour établir un lien sacré avec le monde des esprits. Et afin d’accéder aux neuf ciels qui les en séparent, ils taillent neuf encoches dans un jeune tronc de bouleau. Ils se préparent ainsi, au cours d’un long rituel, à entrer en extase pour voir l’invisible. Ce n’est pas un hasard si c’est l’arbre qui canalise les forces du visible et de l’invisible. Avec ses racines s’enfonçant dans le monde souterrain et sa cime s’élançant vers le ciel, il participe au monde d’en haut et au monde d’en bas, il est l’axe cosmique, axis mundi, voie d’accès au sacré. Arbre, mais aussi montagne, escaliers, échelle: tous les moyens sont bons pour cette ascension spirituelle vers l’inconnaissable. Mircea Eliade note d’ailleurs, dans Images et Symboles, que l’escalier et l’échelle « figurent plastiquement la rupture de niveau qui rend possible le passage d’un monde d’être à un autre ».

57d. Caspar David Friedrich (1774-1840), Femme dans l'escalier

Caspar David Friedrich (1774-1840), Femme dans l’escalier.

Ainsi, les choses sacrées sont celles que nul œil humain ne peut voir, s’il n’est pas initié ou si quelque chose du divin ne lui a pas été dévoilé, révélé au-delà de sa propre perception. Songe, rêve, extase, transe: le corps aussi participe et se transforme pour accéder à une autre forme de vision, au cours de ce que les chamanes comme les mystiques appellent le « grand voyage » ou le « voyage intérieur ».  C’est celui qui mène l’expérience de la transcendance. Platon, dans l’allégorie de la caverne, au livre VII de La République, propose, lui, une ascension vers la connaissance, pour, s’arrachant aux apparences du monde sensible, s’élever par degrés jusqu’à l’Idée de Bien. Contempler la lumière au prix d’une conversion, au sens littéral du terme « se tourner vers » pour se libérer de ce qui rend aveugle et conquérir la vérité.

« Si tu veux t’élever, disait Nietzsche, si tu veux être chez toi dans les hauteurs, jette à la mer ce que tu as de plus lourd! » Les chamans, les guérisseurs des sociétés traditionnelles, les mystiques savent qu’il faut passer par cet abandon de soi, pour parvenir, emporté par le flot turbulent des images, à atteindre la Vision. Ces expériences seront souvent racontées pour tenter de montrer, par la parole, l’écriture ou le dessin, la signification de ce que l’on a contemplé, dans un instant unique, au-delà du visible. »

Martine Laffon, Le Musée philosophique, Quand les tableaux donnent à penser, Toulouse, Éditions Milan, 2011, pp. 21-24.

57b. Joan Mirò, Chien aboyant à la lune, 1926

Joan Mirò (1893-1983), Chien aboyant à la lune, 1926.

« Je suis bouleversé quand je vois dans un ciel immense le croissant de la lune ou le soleil. Il y a d’ailleurs dans mes tableaux de toutes petites formes dans de grands espaces vides« . Joan Mirò.

 

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