Un jour… Un chef-d’œuvre (182)

Ta tête est pleine de choses qui te rendent inapte au Présent!

Johann Heinrich Wilhelm Tischbein (1751-1829), La Grande Ombre, 1805.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Sonate pour violon et piano en mi mineur K. 304, II. Tempo di Minuetto, interprété par Augustin Dumay (violon) et Maria João Pires (piano)

La Sonate pour piano et violon no 21 en mi mineur K. 304 fut composée en 1778 durant le séjour à Paris. C’est à ce moment qu’eut lieu le décès de la mère du compositeur, Anna Maria. Les soucis de Mozart se reflètent dans cette sonate, sa seule œuvre écrite dans la triste tonalité de mi mineur. On y retrouve l’influence du mouvement Sturm und Drang.

[…] Wolfgang écrit à l’abbé Bullinger, l’ami de la famille, précepteur chez le comte Anton Arco, afin qu’il puisse préparer Léopold à accepter la nouvelle du décès d’Anna-Maria.

Paris, ce 3 juillet 1778 [en réalité le 4 juillet, puisqu’il écrit à deux heures du matin].

Ô le meilleur de mes amis! (ceci est pour vous seul.)

Pleurez avec moi, mon ami! – Ce jour fut le plus triste de ma vie. – Je vous écris à deux heures de la nuit. – Il faut que je vous dise ceci: ma mère, ma chère mère n’est plus! – Dieu l’a rappelée à Lui. – Il voulait l’avoir, je le vois clairement. – Je m’en suis remis à sa volonté. – Il me l’avait donnée, il pouvait également me la reprendre. Imaginez seulement toutes les angoisses, les inquiétudes et les soucis qui furent mon sort pendant ces quatorze jours. – Elle mourut sans en avoir conscience – comme une lumière qui s’éteint. […] Il m’est impossible de vous raconter toute sa maladie. – Je garde l’idée qu’elle devait mourir. – Dieu l’a voulu ainsi. Je vous prie de me rendre un service d’ami; que mon pauvre père soit préparé tout doucement à cette triste nouvelle. – Je lui ai écrit par le même courrier – je lui ai simplement dit qu’elle est gravement malade. – Maintenant, j’attends sa réponse – afin de guider ma conduite d’après elle. – Dieu lui donne force et courage! – Mon ami! – […] – Ainsi je vous en prie, mon cher ami, conservez-moi mon père, inspirez-lui du courage afin que, lorsqu’il apprendra le pire, il ne réagisse pas trop vivement et trop péniblement. Je vous recommande aussi ma sœur de tout mon cœur. – Allez les voir aussitôt, je vous en prie. – Ne leur dites pas encore qu’elle est morte, mais préparez-les seulement à l’apprendre. – Faites ce que vous voudrez – mettez tout en œuvre – afin que je puisse être tranquillisé – et que je n’aie pas un autre malheur à attendre. – Conservez-moi mon cher père, et ma chère sœur. – Écrivez-moi aussitôt je vous en prie. – Adieu.

Je suis votre

Très respectueux et très reconnaissant serviteur 

Wolfgang Amadé Mozart.

Lettre de W.A. Mozart pour l’annonce de la mort de sa mère à Paris à l’abbé Bullinger, citée par Jean et Brigitte Massin, Wolfgang Amadeus Mozart, Paris, Fayard, Coll. Les Indispensables de la Musique, 1990, pp. 247-248.

Léopold Mozart, le 27 août 1778:

Si ta mère était revenue de Mannheim, elle ne serait pas morte […] Sans tes nouvelles relations [les Weber] tu n’aurais pas décidé de ne pas vouloir voyager avec Wendling. Tu m’aurais fait plus vite part de tes projets, alors que je faisais confiance à ta raison et à ta vertu. Tu serais arrivé à Paris à un meilleur moment […] et ma pauvre épouse serait encore à Salzbourg.

[…] Si tu continues à bâtir des châteaux en Espagne et si tu n’a en tête que des projets futurs, alors tu négligeras toutes les affaires présentes et indispensables. […] Ta tête est pleine de choses qui te rendent inapte au Présent!

Lettre de Léopold à son fils citée par Jean et Brigitte Massin, Wolfgang Amadeus Mozart, Paris, Fayard, Coll. Les Indispensables de la Musique, 1990, p. 269..

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