Violoniste de formation, Jean Sibelius (1865-1957) nous a laissé quelques pièces remarquables pour son instrument. L’œuvre la plus connue du maître est le fameux concerto en ré mineur opus 47.
La partition date de 1903 et fur révisée en 1905. Elle fut créée cette année là par Richard Strauss. Ce fut également le moment choisi par le compositeur pour installer sa résidence dans la forêt au nord d’Helsinki et se retirer de la sorte de la vie tumultueuse des grandes villes. Cette solitude et ce besoin de se ressourcer au cœur même de la nature finlandaise se retrouve de manière saisissante dans son œuvre toute entière.
On a souvent dénigré ce concerto en le qualifiant de néo-romantique, à une époque où la modernité voulait se trouver dans la musique des trois viennois. Antoine Goléa a été jusqu’à affirmer que l’œuvre représentait « le vide absolu ».
Pourtant, la notoriété du concerto est de plus en plus grande aujourd’hui. On commence seulement à comprendre que l’art de Sibelius est d’une force exceptionnelle. Son orchestration est unique, faite de couleurs tantôt sombres et graves, tantôt d’un chatoiement presque impressionniste (pour autant que ce terme soit adapté à la musique !). Ses mélodies, souvent courtes et runiques, son harmonie perpétuellement tourmentée par de profondes dissonances transitoires et sa rythmique tellement caractéristique lui confèrent une émotion particulièrement dramatique bien au-delà du nationalisme qu’on lui attribue trop souvent (pour plus de détails sur le style de Sibelius, voir le billet qui lui est consacré « Le domaine de Tapio »).
Le concerto pour violon est d’essence tragique et sa virtuosité, si convoitée par les violonistes en mal de spectacle, ne rend tout son effet que dans le cadre du drame qui s’y joue. Pas question de narcissisme aux belles sonorités ici, place à l’émotion ! Sa structure en trois mouvements n’est classique qu’en apparence. Le discours qui se déroule sous nos oreilles, alternent les nombreux solos avec des passages orchestraux dignes des symphonies les plus évoluées. Ce violon pleure, hurle, s’envole, retombe avec violence, se débat avec les éléments supérieurs de la nature comme l’homme qui y cherche sa place et un répit. Dans leurs trop fréquentes complaisances, les violonistes n’y décèlent pas toujours ce combat vital de l’homme face au monde mystérieux et plein de sortilèges. Alors l’œuvre devient mièvre et banale.
Rien de cela avec l’interprétation légendaire de Christian Ferras et du Philharmonique de Berlin dirigé par Karajan ! Il faut dire que le violoniste français au destin tragique était bien placé pour sentir en profondeur le malaise existentiel du concerto. Projeté sans doute trop tôt sur la scène mondiale, le jeune Ferras n’a pas réussi à assumer correctement son succès. Pris par un alcoolisme dévorant et dévasté par la passion des jeux d’argent, il perd rapidement pied et finit par mettre fin à ses jours en 1982. Ceux qui l’ont connu sont tous d’accord pour affirmer qu’il était un musicien tout à fait atypique.
Il était avant tout un musicien instinctif. Il jouait comme il sentait. Techniquement aussi, il avait une curieuse position, déposant son violon sur l’épaule et adoptant une technique d’archet tout à fait non conventionnelle. Mais il avait un sens du phrasé exceptionnel et une sonorité d’une puissance formidable. Il savait faire rugir l’instrument comme lui donner un aspect aérien incomparable. Son vibrato était d’une rare tension. On reconnaît toujours le son de Ferras et il ne laisse personne indifférent. Sa collaboration avec Herbert von Karajan dans les années soixante va engendrer une série d’enregistrements remarquables devenus tous des références Beethoven, Brahms, Sibelius, Tchaïkovski, …). Le chef allemand le considérait comme son violoniste préféré et déclarait : « Le génie de Ferras, c’est le pressentiment du jeu de l’autre ». De fait, son travail en duo avec Pierre Barbizet nous montre clairement ce sens aigu de l’écoute. Ils nous ont laissé de terribles versions des sonates de Franck, de Lekeu ainsi qu’une remarquable intégrale de celles de Beethoven.
Dans Sibelius, l’interprétation de Ferras me donne la chair de poule de la première à la dernière note. Le musicien instinctif, qui pleurait en jouant le mouvement lent, a trouvé là sa juste expression. Il ne cherche pas à l’expliquer, il se contente de la ressentir au plus profond de son âme. Un cd a tout petit prix mais essentiel, à mon sens, dans toute discothèque… !
Merci pour la correction qui est le résultat d’une faute de distraction. La tonalité de ré majeur est d’essence gaie, tandis que le ré mineur est sombre et grave. Je corrige dès que possible…
D’accord avec vous aussi pour Oistrakh, la rubrique Discothèque idéale avec un ? est l’occasion pour moi de donner des coups de coeur personnels, nullement de proposer LA version idéale impossible à déterminer.
Bonjour,
Belle découverte que votre blog – au hasard d’une recherche avec google!
A propos du Concerto de Sibelius: un petit détail, il est en ré mineur, et non en ré majeur comme indiqué tout au début de l’article.
Et si, effectivement, l’interprétation de Ferras avec Karajan est fabuleuse, je mets au même niveau (sur un plan musical – la qualité technique des disques étant une autre question ) les interprétations de David Oistrakh (avec Roshdestvensky en 1965, et avec Ormandy en 1959).
Voilà pour aujourd’hui… A bientôt peut-être.
absolument d’accord…
Ferras est le violoniste par lequel j’ai découvert les quatre concerti enregistrés en tandem avec karajan…
dommage qu’ils n’aient pas enregistré le concerto à la mémoire d’un ange de Berg dont ils ont donné plusieurs interprétations en concert…
espérons que l’on extirpe un jour une correcte bande radio des archives radio…
quant au Sibélius, je trouve personnellement la version originale également passionnante quoiqu’alors il s’agisse plus d’une symphonie avec violone obligé…
voir l’enregistrement dans le cadre de l’intégrale bis qui vaut largement le détour…
parlé de michael gutman dans votre blogs je l’aime beaucoup