En ce magnifique mois de printemps, l’Orchestre philharmonique de Liège va nous proposer la deuxième saison de la « saga » Brahms/Langrée dans un festival qui s’annonce du plus haut intérêt et qui se déroulera à la Salle Philharmonique de Liège du 15 au 25 mai. Le compositeur « automnal » a depuis longtemps dépassé le cloisonnement des saisons pour nous envoûter tout au long de l’année.
C’est l’occasion, pour moi, de vous en parler un peu et d’entamer une saga blog, au rythme du festival, pour mieux redécouvrir l’un des compositeurs essentiels du romantisme allemand. Premier épisode aujourd’hui, donc, consacré à une mise en situation.
Johannes Brahms (Hambourg 1833-Vienne 1897) représente pour les publics francophones un monstre de la musique germanique. Force est de constater que peu d’orchestres français se sont risqués à enregistrer une œuvre trop souvent jugée lourde et pesante. Les propos critiques de Debussy et le style particulier de cette musique semblent, à première vue, ne pas correspondre à la pensée plus légère et méditerranéenne des publics latins. D’autres compositeurs comme Bruckner ou Sibelius semblent souffrir du même a priori.
Ce que nous nommons généralement le « romantisme » musical est une attitude vis-à-vis de la fonction de l’œuvre et de la nécessité que ressent l’homme à la produire. Ainsi, nous pouvons remarquer que le but d’une œuvre se déplace à la fin du XVIIIème siècle suite aux courants littéraires et philosophiques de l’époque. Si l’artiste baroque était au service d’une collectivité, sa volonté d’indépendance (avec Mozart d’abord) grandit à l’aube du XIXème siècle. Un personnage comme Beethoven n’est explicable que par cette absolue volonté d’indépendance. Celle-ci se traduit par un changement radical de style et un propos désormais singulier. Le compositeur s’exprime désormais en tant qu’individu, que cela plaise ou non.
Les conséquences principales résident dans un élargissement de la forme. Plus le propos est vaste et personnel, plus la forme évolue. La crise de Heiligenstadt en 1802 est pour Beethoven le moment du manifeste musical romantique. Désormais, toute sa musique sera le reflet de son âme. S’il se nourrit encore d’une pensée utopique et universaliste, c’est parce qu’il est profondément convaincu de sa validité. Ainsi la lutte prométhéenne du maître de Bonn est sa lutte contre un destin (surdité, solitude, …) funeste.
Le compositeur romantique façonne la forme musicale à son image et n’obéit plus aux canons « scolaires » imposés par l’apprentissage. Observez et ressentez la différence entre une symphonie du Mozart de Salzbourg et « l’héroïque » de Beethoven et vous comprendrez le chemin affectif parcouru.
Et puisque la musique est capable, selon les philosophes, de renouer le contact avec les valeurs archétypales enfouies au plus profond de nous-même, les compositeurs s’en donne à cœur joie. Ils véhiculent une pensée de plus en plus profonde et subtile. C’est de là que viennent ces sensations d’intense émotion à l’écoute des chefs d’œuvre des grands compositeurs du XIXème siècle.
Mais voilà, comme toujours, plusieurs manières divisent ceux qui prennent plaisir à créer la polémique. Le fameux critique viennois Edouard Hanslick, autorité suprême du monde musical de l’époque et théoricien du « beau », brise l’harmonie qui semblait régner dans l’individualisme des artistes en séparant la musique en deux parties distinctes, une bonne et un mauvaise. Le critique, qui prétendait que la musique devait renoncer à relater un propos phi
losophique quelconque au profit de la simple expression du son, développait une animosité formidable pour Liszt, Wagner et Bruckner. Il refusait que Liszt, l’inventeur du poème symphonique, puisse s’inspirer d’un argument littéraire pour construire sa musique. Dans la même logique, il fustigeait le but ouvertement philosophique des opéras de Wagner. Enfin, il considérait que les « boas constrictor » de Bruckner (c’est ainsi qu’il en nommait les symphonies !) n’étaient que des rejetons de Wagner avec des relents de foi catholique. Par contre, il vénérait la musique de Brahms qui, dégagée le plus souvent de tout argument littéraire, représentait la pureté.
Dichotomie entre musique pure et musique à programme… Voilà le propos de Hanslick ! Je reviendrai sans doute un jour sur l’aveuglement d’un tel jugement, mais il est important de signaler que cette querelle a peu touché les compositeurs eux-mêmes (comme toujours !). Ces derniers, s’ils ne partageaient pas les mêmes vues sur les raisons de leur art, n’en sont cependant jamais venus à l’affrontement. Ah ! Ces théoriciens partisans… !
Pourtant, qui a, un jour, vraiment écouté une œuvre de Brahms arrivera toujours à cette conclusion évidente : sa musique est très expressive, profondément humaine. Elle nous touche, d’une manière toute particulière au plus profond de notre être, elle véhicule des émotions essentielles. Certes, on ne peut pas toujours dire avec certitude ce qui les génère, mais il n’y a pas de doute, Brahms dit quelque chose de fort (nous y reviendrons). Lorsqu’il nous arrive de vouloir la qualifier, on en revient très souvent à de vagues qualificatifs qui cherchent à traduire la face sombre de l’homme qui semble s’exprimer, dans ses plus grandes réussites, dans un univers tragique rempli de couleurs sombres, sépia parfois, crépusculaires…automnales ! A suivre…