On a depuis longtemps cessé de comparer la musique des fils de Bach avec celle de leur illustre père. Dans le deuxième quart du XVIIIème siècle, les attentes concernant le rôle de la musique changent. L’opéra a déjà plus d’un siècle d’existence et un réseau de théâtres s’est formé à travers toute l’Europe pour attirer une nouvelle clientèle, payante et donc exigeante.
Le modèle que donnent les castrats et les premières divas déclenchent un culte de la personnalité. Celle-ci est virtuose avant tout. L’éblouissement provoqué par cette agilité vocale se répercute aussi sur la virtuosité instrumentale. Des concerts sont organisés, des violonistes et bientôt des pianistes vont rivaliser d’astuces musicales pour rendre leur art attrayant au plus grand nombre. L’une des conséquences de cette nouveauté est la désuétude dans laquelle tombe la musique dite baroque savante. Il faut désormais une musique plus facile à écouter, plus flatteuse pour les musiciens et…le public.
Les canons (c’est le cas de le dire) que Jean-Sébastien Bach cultivera encore jusqu’à sa mort en 1750 semblent ne plus correspondre aux goûts du jour. Même s’il pouvait démontrer son aisance dans la nouvelle musique (sonate en trio de l’Offrande musicale, par exemple), le grand Bach n’était désormais connu que par la légende vivante d’un organiste aux capacités illimitées. Ses fils, qu’il avait formés à l’écriture à l’ancienne, allaient être les acteurs du nouveau style que nous nommons aujourd’hui « galant » pour ses qualités mélodiques.
Le plus connu, Carl Philip Emmanuel, avait bien compris les nouvelles tendances et déjà, il préconisait non seulement une virtuosité adaptée au clavecin et aux premiers piano forte, mais aussi la communication aux auditeurs d’émotions variées et fortes. Le style a fait ses preuves et la sensiblerie qu’on lui attribue trop souvent traduit mal le mot allemand « Empfindsamkeit » qu’il aimait utiliser. Ce sont déjà les prémices du style « Sturm un Drang » (tempête et tourment) que Joseph Haydn affectionnera qui se développent dans ses sonates pour clavier.
On connaît beaucoup moins bien le plus jeune des fils du Cantor de Leipzig, Johann Christian Bach (1735-1782) dont le prénom a été francisé par Jean-Chrétien. Il n’avait que quinze ans quand son père est mort. Autant dire que son éducation était loin d’être achevée. Il reçut donc les leçons de son grand frère C.P.E. à Berlin puis parti en Italie recevoir les conseils du fameux Padre Martini dont la réputation attira aussi…Mozart ! En apprenant l’art de l’opéra, la virtuosité en vogue et en combinant les enseignements familiaux avec l’art italien, il se forgea un style foncièrement original. Ses sonates pour clavier témoignent d’une véritable recherche en matière de sonate. Proches parfois de Haydn et de Mozart, il développe un style préclassique qui annonce de près la grande sonate bi thématique moderne.
Sa carrière remplie de succès, de triomphes même, le conduit à Londres où il devient l’une des personnalités les plus en vue. Là, il rencontre Mozart (qui n’a que huit ans !) en 1764 et est rapidement surnommé le « Bach de Londres ». Paris fut, au contraire, une source de désillusions. Ses opéras n’y trouvèrent pas l’approbation escomptée. Ruiné par des dettes insurmontables, il meurt dans la misère à Londres en 1782 pendant que Mozart se débat dans les difficultés de l’indépendance à Vienne. La Reine payera les créanciers et Mozart, pour qui Johann Christian nourrissait une véritable amitié témoignera de sa dette musicale à son « maître ».
Les sonates de l’opus 17 enregistrées par le pianiste Alberto Nosè sur un piano moderne pour Naxos sont une véritable découverte (pour moi en tous cas). Conçues en deux ou trois mouvements, elles ne sont pas seulement pleines de grâce. Elles sont surtout un pendant très intéressant aux sonates de Haydn. Toutes baignées de l’ambiance du bel canto italien, elles parcourent toutes les émotions dans un langage direct. Pensées directement pour le piano forte, elles jouent sur les nuances de dynamique, modulent de manière audacieuse, offrent des développements très avancés pour l’époque. De difficulté très variables, ces sonates devraient être jouées plus souvent. Certaines pièces évoquent les sonates de Scarlatti, mais d’autres jouent d
e la fameuse basse d’Alberti pour supporter les plus beaux chants. Les superbes mouvements lents, assez rares, s’épanchent doucement, bref, une musique à connaître absolument.
Le Bach de Londres me semble jouer un rôle crucial dans l’évolution de la musique galante vers le classicisme. Son style fluide et délicat le rend délicat à jouer, comme Mozart et Haydn, mais mérite une plus large reconnaissance. Un cd superbe…et pas cher du tout !