Shakespeare illustré

 

Et pour terminer cette semaine consacrée au théâtre de Shakespeare et à sa transposition lyrique de Verdi, voici un exemple de la vision de Lady Macbeth par un peintre du début du romantisme. Nul doute que la vision de la Lady sanguinaire viendra encore renforcer l’image terrible, mais nuancée, que je lui ai collée depuis quelques jours…

 

Johann Heinrich Füssli (1741-1825) est un peintre et un écrivain d’art britannique d’origine suisse. Passant une grande partie de sa vie en Angleterre, il devint rapidement un spécialiste de l’illustration des œuvres de Shakespeare, de Dante et de l’épopée des Nibelungen (les légendes scandinaves à l’origine du travail de Wagner sur le Ring). Très réceptif aux éléments surnaturels des légendes, il pensait que la peinture, pour être vraiment expressive, devait exagérer certains détails et susciter chez le spectateur une vision non seulement du sujet traité, mais aussi des rapports que ce sujet pouvait entretenir avec l’observateur attentif. Trouvant chez Michel-Ange et son maniérisme presque baroque le sens de l’accentuation des détails, il refusera un académisme froid que nombre d’artistes de l’époque défendaient. Comme Rubens, il excellait dans la représentation détaillée des personnages, du mouvement et dans l’expression de la couleur. Pourtant, Füssli est un romantique et les images sombres figurent en bonne place dans ses quelques deux cent tableaux et huit cent croquis. Il préférait les personnages imaginaires aux portraits et n’a peint que deux paysages.


 

Fussli, Lady Macbeth, 1784
 


 

Le tableau, simplement intitulé « Lady Macbeth somnambule » date de 1784. Il représente la terrible scène du Vème acte au cours duquel, l’épouse incitatrice du meurtrier du roi Duncan semble prise de terribles remords et déambule dans un dernier cauchemar vers sa mort imminente.

 

Dans une pénombre quasi-totale, elle surgit, brandissant un flambeau, le visage déformé, le regard effrayant. Elle sombre dans la folie et marche dans les longs couloirs sombres de son château, lieu funeste depuis que l’engrenage du meurtre s’est abattu sur la forteresse. On distingue à peine, au fond à droite, deux personnages : un médecin à l’air terrifié, notant sur un papier les symptômes de la maladie inconnue, et la servante, une jeune femme apeurée par l’apparition de sa maîtresse démente.


 

Fussli, Lady Macbeth02


 

Le clair obscur, par l’insistance qu’il porte au tronc éclairé de la reine et le mystère qu’il fournit au décor et aux personnages secondaires, accentue encore l’impression de fantastique et cauchemardesque. La folle semble se détacher du décor et déchirer la nuit perpétuelle qui est tombée sur la demeure de Macbeth. Son éclat se répercute sur la servante comme pour souligner l’emprise qu’elle a sur son entourage immédiat.

 

Le jaune, couleur souvent associée à la folie trouve toutes ses nuances entre la robe, les cheveux blonds ou roux, le flambeau et, dans une certaine mesure la couleur de sa peau sujette à cet éclairage artificiel. La pose de la reine contribue au sentiment de déséquilibre général. Son corps incliné par la descente d’une marche d’escalier est le symbole de la descente en enfer (Catabase) et de son délabrement mental. Son bras gauche est élancé comme s’il voulait tâter ou s’accrocher à un repère salvateur qui ne présente plus. Elle est désormais perdue.


 

Fussli, Lady Macbeth 1


 

Le peinture de la folie somnambule, des ces « yeux ouverts dont le sens est fermé » convient parfaitement à l’art de Füssli, homme d’une sensibilité extrême et artiste aux convictions violentes. Il accordait aux traits humains une grande importance, influencé par les traités de physionomie de l’époque. On peut cependant y déceler une influence de la Gorgone Méduse peinte par le Caravage. Et le rapprochement n’est
pas que pictural puisque selon la mythologie antique, la créature monstrueuse était surtout malfaisante. Ses cheveux roux en désordre, prenant la forme de serpents, son regard terrible, qui suffisait à pétrifier tous ceux qu’elle regardait, et son visage halluciné sont proches de l’image que veut donner Füssli de Lady Macbeth.


Fussli, Lady Macbeth03La Gorgone Méduse par Carvaggio


 

 

Selon les théories esthétiques du siècle des lumières, le sublime, que Edmund Burke avait défini dans son traité sur le Beau et le Sublime en 1757, devait être une émotion qui naissait de la peur ou de l’étrange. Ainsi, le peintre nous offre des œuvres qui choquent mais qui nous permettent de nous interroger sur les contradictions et les limites entre le « normal » et la « folie », entre le jour et la nuit, entre l’ordinaire et l’étrange. L’introspection toute romantique nous montre, encore ici, une des facettes les plus représentatives de l’ambiguïté de l’être humain. Le concept du double, si souvent évoqué fait surface ici aussi.

 

Entre un visage déformé par la folie sanguinaire et celui qu’on imagine en des circonstances moins tragiques, le portrait de Lady Macbeth de Füssli, comme celui de Verdi ne parvient pas à nous faire détester la meurtrière. Elle reste pour nous un exemple de la fragilité de l’esprit, une vision finalement très moderne du psychisme humain confronté à ses refoulements et à son inconscient.

 

…Il m’arrive souvent de penser que c’est peut-être une erreur de ne pas avoir nommé la tragédie lyrique de Verdi « Lady Macbeth ».