Guide de l’orchestre

La production de Britten est immense et touche à tous les domaines de la musique. Il ne se rattache à aucune école, mais bénéficie de nombreuses influences qui lui permettent de se forger un style unique et particulièrement expressif. L’enfance dont l’âme est bercée par cette partie de rêve qui disparaît chez tant d’adultes le fascine plus que tout. Elle reste présente chez Britten sous de nombreuses formes tout au long de sa vie (Chœur d’enfants, évocation et description du monde de l’enfance, l’enfant dans l’opéra, les opéras pour enfants, œuvres didactiques, etc.). Vous pourrez en apprendre davantage en (re)lisant les articles fantômes, le Tour d’écrou et Sinfonia da Requiem sur ce Blog. 

Partant du constat, lors de mes cours, que la connaissance des instruments de musique est insuffisante pour beaucoup de mélomanes, j’ai donc décidé de proposer aujourd’hui une aide dans l’apprentissage des timbres et des spécificités de chaque instrument. Ce que nous nommons le Guide de l’orchestre de B. Britten allie une force didactique exceptionnelle et un plaisir musical de chaque instant.


 

Disposition orchestre
 


 

Le repérage des timbres orchestraux n’est pas seulement, loin s’en faut, une affaire d’érudition. Si  les instruments sont très nombreux au sein d’un orchestre, ce n’est pas pour faire beaucoup de bruit (du moins pas toujours !). Chaque instrument de musique possède son propre timbre. C’est ce qui fait que deux musiciens jouant une même note sonnent de manière différente. Et qui dit différent implique aussi autre émotion. Ainsi, s’il est évident qu’un piano et un violon sont forcément identifiés immédiatement par nos oreilles, c’est parce que, de longue date, nous les avons entendus et que nous avons appris à les distinguer. On pourrait faire l’expérience au sein d’une population qui ne saurait rien des instruments occidentaux, il entendrait une différence de timbre sans pouvoir nommer les instruments qui le produisent. 

Mais si le timbre est physiquement différent à chaque instrument, notre sensibilité occidentale y a associé une rhétorique des affects, des émotions. Ainsi l’usage de tel type d’instrument dans tel type de situation ne fait pas l’ombre d’un doute. Si chaque instrument possède une palette de timbres assez vaste, l’usage en a réduit la fonction au sein de l’orchestre (du moins dans les musiques du passé, la musique contemporaine utilise parfois d’autres critères) et codifié leur usage dans une certaine mesure. Par exemple, l’usage des trombones est souvent lié à une fonction « religieuse » ou solennelle. Je ne dis donc pas que le trombone est seulement solennel, mais son usage dans l’orchestre exploite souvent cette particularité là. On pourrait ainsi reprendre tous les instruments et leur attribuer une fonction rhétorique au sein de la musique. 

Le mélomane a besoin, pour saisir les particularités d’une orchestration et donc une part du sens de l’œuvre, de se forger une image intérieure de la sonorité et du timbre de tous les instruments. Ce n’est pas si simple qu’il n’y paraît à première vue. Il n’est pas toujours aisé de distinguer un cor anglais qui joue dans son registre grave d’un basson qui joue dans l’aigu. Ecoutez, par exemple, le début du Sacre du Printemps de Igor Stravinsky et demandez-vous qui joue… C’est le basson… !


 

Partition Stravinsky Sacre


 

Mais ce n’est pas tout. Le compositeur cherche toujours à repousser les limites des formes et des couleurs orchestrales. Il combine alors plusieurs instruments, non pas pour les additionner, mais pour créer de nouveaux timbres. Il devient alors encore plus difficile de les distinguer. Nous devons considérer que le nouveau timbre ainsi perçu possède une nouvelle émotion. Le début extraordinaire de la symphonie « Inachevée » de Franz Schubert est éloquent à ce sujet. Un hautbois et une clarinette jouent à l’unisson le magnifique thème du premier mouvement. C’est inédit et…déconseillé par les traités d’orchestration. Pourtant, il y a rarement eu mélodie à la couleur plus expressivement mélancolique que ce passage…


 

Partition Schubert inachevée


 

Oui, le monde des instruments est riche et varié. Il est vraiment passionnant de s’y plonger pour trouver une part non négligeable du propos d’un compositeur. Plus on avance dans l’histoire, plus le timbre est essentiel à l’écriture et à l’expression d’une musique. Que serait la Mer de Debussy sans ses mélanges de timbres ? Comment imaginer l’orchestre de Mahler sans la variété des instruments qu’il utilise ? Pour se familiariser un peu avec ce pan de la musique, Benjamin Britten, conscient de l’ampleur de la matière, nous a proposé un petit guide des instruments de l’orchestre qui est bien utile pour le mélomane. 

Lorsque le ministère de l’éducation demanda à Basile Wright en 1946 de lui réaliser un film expliquant les instruments de l’orchestre aux enfants, il se tourne naturellement vers Britten. The Young Person’s Guide to the Orchestra, petite pièce d’un quart d’heure, fut le résultat d’un travail didactique d’une grande efficacité. Cette œuvre, connue en France sous le nom de Variations et fugue sur un thème de Purcell, est la plus célèbre du compositeur, à tel point qu’elle occulta souvent le reste de sa production aux yeux du grand public. Pièce destinée à un narrateur et un orchestre, le texte fut rédigé par le librettiste habituel de Britten, Eric Crozier. La formation symphonique est divisée en groupes correspondant aux familles (cordes, bois, cuivres et percussions) au sein desquels les instruments sont présentés séparément.


Partition Purcell


 

L’orchestre entier entame le thème simple et majestueux de la musique de scène Abdelazar ou la revanche du Maure, puis les quatre groupes sont présentés séparément sur le même thème. Viennent ensuite les variations qui présentent les instruments séparément, les vents en première place. Viennent ensuite les cordes, les cuivres et enfin les percussions. Suit une véritable récapitulation sous la forme d’une fugue brillante qui réunit progressivement une dernière fois l’orchestre au grand complet. Le thème initial conclu la pièce dans un final somptueux.


Britten, Guide de l’orchestre par M. Tilson Thomas, 1ère partie


Britten, Guide de l’orchestre par M. Tilson Thomas, 2ème partie


 

 

 

Le succès de cette œuvre dépassa toutes les prévisions. Britten avait réussi un véritable chef-d’œuvre dans un genre déjà abordé par Prokofiev (Pierre et le Loup) et Saint-Saëns (Le Carnaval des Animaux). La démarche du compositeur était bien différente de celle de ses prédécesseurs. L’originalité du Guide de l’Orchestre de Britten réside d’abord dans l’absence d’anthropomorphisme. Les instruments ne sont plus des substituts de personnages, mais sont présentés pour leur qualité sonore et l’affect qu’ils dégagent. Ensuite, l’apprentissage des instruments se double d’un travail sur la forme musicale. En présentant deux des grandes formes de la musique, le thème varié d’une part et la fugue d’autre part, Britten fait comprendre à l’auditeur certains mécanismes complexes de l’art de la composition. Enfin, il ne sépare pas totalement les instruments en les proposant de manière scolaire. Il les associe, génère de nouvelles couleurs, en bref, il montre en quoi consiste l’art de l’orchestration. 

Le Guide de l’Orchestre démontre de manière simple et éminemment pédagogique que la musique est un art du temps possédant syntaxe et sémantique, au-delà du côté simplement physique de ses instruments. 

L’œuvre fut créée par le grand chef Sir Malcolm Sargent, qui assura la direction et les commentaires. Aujourd’hui, la version purement instrumentale s’est imposée, délaissant de la sorte une part pédagogique importante de l’œuvre. 

Le succès du Guide de l’Orchestre fut immédiat, ce qui n’empêcha pas Br
itten de poursuivre son œuvre avec passion. Les vingt années qui lui restaient à vivre furent bien remplies. Entre le festival et les tournées. Il composa inlassablement opéras, pièces vocales, orchestrales et musique de chambre. Sa renommée le fit connaître comme l’un des génies du Xxe siècle. Son War Requiem, écrit en 1962 pour dénoncer les injustices et les destructions de la guerre, est une œuvre d’une humanité profonde. Britten ne fut jamais un artiste subversif. Il était opposé aux idées préconçues et dénonçait le manque d’intégrité de l’Etre humain et l’exclusion sous toutes ses formes. Une grande simplicité habitait cet homme qui, adulé de beaucoup, préféra mourir dans l’intimité, chez lui, à Aldeburgh, entouré des siens, le 4 décembre 1976. Il nous laisse une œuvre immense et foncièrement originale, un remarquable festival dirigé jusqu’à son décès par M Rostropovitch et une discographie d’une rare qualité.